Adapté du livre visiblement très documenté de Mark Halperin & John Heilemann et écrit par Danny Strong (le petit Jonathan de la série "Buffy" devenu depuis un excellent scénariste !) , "Game Change" propose une véritable plongée dans la campagne présidentielle américaine de 2008 côté républicain et plus précisément sur la désignation et le parcours de celle qui allait devenir un véritable phénomène médiatique : Sarah Palin.
Pour contrecarrer l'élan de renouveau qu'incarnait à l'époque le jeune sénateur charismatique Obama, (le film s'ouvre d'ailleurs sur son fameux discours de Berlin), le candidat McCain (enfin son équipe), jugé trop modéré par l'aile droite de son parti, trouve la colistière idéale en la personne relativement inconnue du gouverneur d'Alaska, une mère de cinq enfants anti-avortement, pro-armes, quasi-créationniste, chasseuse d'élans à ses heures perdues et possédant un taux de satisfaction de 80% de la part de des électeurs de son état, bref l'élément parfait pour réconcilier les franges extrêmes (les idées nauséabondes) et modérées (une femme donc symbole de progressisme) du parti républicain.
Désignée à la va-vite après une enquête bâclée de cinq jours, la candidate fera illusion par son assurance et ses convictions auprès des pontes du parti dans un premier temps, surtout lors de sa prestation convaincante lors du discours de sa présentation au public.
Seule Nicolle Wallace (interprétée par Sarah Paulson), ancienne directrice de communication à la Maison-Blanche et en charge de celle de Palin lors de la campagne, prendra très vite conscience du "monstre" d'ignorance que le parti a choisi de mettre en avant devant les médias.
Car on connaît tous la suite : un enchaînement invraisemblable de stupidités sur la politique étrangère (l'interview devenue légendaire avec Katie Couric), les parodies de Tina Fey et d'Amy Poehler au SNL, l'incapacité de la candidate à répondre à des questions simples, etc...
"Game Change" va nous faire vivre cela de l'intérieur, on hésitera d'ailleurs entre le rire et l'épouvante qu'inspire cette femme mais aussi les stratagèmes mises en place par les communiquants pour pallier à ses lacunes (les cours de géo-politique accablants digne d'un élève de sixième ainsi que les dernières prestations télévisées de la candidate devenue une potiche récitant simplement son texte). Le film a la bonne idée de conserver une part de mystère autour de Palin en rapportant les faits à l'état brut, on ne saura jamais réellement ce qui se passe dans sa tête lors de ses crises de quasi-catatonie et ses fixations sur des sujets incongrus lorsqu'elle est mise en difficulté, sont-ce des réactions puériles pour exprimer insidieusement son mécontentement (un conseiller ira jusqu'à évoquer la possibilité de troubles mentaux !) ou les manifestations d'une femme surmenée et perdue dans un cirque politico-médiatique qu'elle ne maîtrise pas ?
On ne le comprendra vraiment jamais (même si l'ambition qu'elle affiche lors de la défaite inéluctable apporte à elle seule un élément de réponse) et le personnage aura eu toujours cette capacité à rebondir et à séduire son camp par des fulgurances électoralistes et populistes notamment lors de son discours à la convention républicaine ou le débat face à Joe Biden (qu'elle appelle "O'Biden"!), traductions parfaites du surnom que ses adversaires en Alaska lui donnaient : "Sarah le Barracuda".
Porté par par une immense Julianne Moore saisissante de mimétisme (elle aurait tellement mérité un Oscar pour ce rôle) mais aussi par Woody Harrelson en stratège politique en chef Steve Schmidt et Peter McNicol dans le rôle du directeur de campagne Rick Davis ne cessant de subir les contre-coups des gaffes de Palin, Ed Harris bien sûr en adversaire malheureux d'Obama (McCain est plutôt épargné par le film) et surtout Sarah Paulson, déjà évoquée plus haut, brillante et absolument désarmante dans sa dernière scène, symbole même du désarroi que Palin a provoqué dans son propre camp, "Game Change" fait figure d'un des meilleurs téléfilms produits par HBO de ces dernières années, on peut même parler réellement d'un film tant la réalisation de Jay Roach lui confère des dimensions cinématographiques.
À l'aube de l'arrivée au premier plan d'un nouveau "monstre" politique américain en la personne de Donald Trump, (re)voir "Game Change a quelque chose de terrifiant car, selon l'expression aujourd'hui consacrée d'un journaliste, si McCain avait été élu, Sarah Palin n'aurait été vraiment qu'à un battement de cœur de la présidence d'une des plus grandes puissances mondiales.