Je viens de voir ce film et je n'ai rien compris de ce qui vient de m'arriver. Une claque de malade, de bout en bout. Le film s'ouvre sur un éclair rougeâtre pourfendant le ciel, le tout filmé au ras du sol avec des lumières de voitures se trimbalant dans une route plongée dans les ténèbres. Le plan reviendra de manière différente plusieurs fois dans le film annonçant comme une rime lancinante la tempête que masque la bourrasque. Alors si dans un premier temps le film se laisse agréablement voir mais sans casser des briques il faut définitivement attendre le troisième acte pour que tout explose. Disons que dans le premier tiers temps on est en terrain connu, sorte de tableau social typique de la basse Amérique texane. Ici pas de concession avec ces personnages à couper au couteau. A bas le manichéisme primaire - en même temps avec un flic tueur à gage ça se comprend, ici c'est chacun sa paume et ça a quelque chose de plaisant, à la fois crédible et abrupte mais qui n'est jamais désarçonné. Il faut dire que le film doit beaucoup à son écriture, de bout en bout excellente et particulièrement sur le dernier tiers. Friedkin - que je connais assez mal - est un réalisateur toutefois intéressant car il a une mise-en-scène très sobre, classique mais d'une intensité folle, à la limite du virtuose, faut dire qu'il est bien accompagné parce qu'esthétiquement le film est très réussi et le montage fait une belle partie du boulot également. Alors voilà que durant les deux premiers tiers du film on se dit qu'on a affaire à un bon film, voire un très bon film sans qu'on se doute que ça ira au-delà et puis viens la dernière partie : montée crescendo de l'efficace au virtuose par le biais d'un ascenseur émotionnel pris dans un capharnaüm de registres tous savamment dosés. Au fond je pense que la scène aurait encore plus d'impact si la fellation avait vraiment eu lieu, je pense qu'il y a eu de l'auto-censure ici ou que les acteurs ont refusé de le faire mais ça ajoute pas mal au caractère étrange de la scène. Ainsi on a des coups de pressions qui grimpent et grimpent pour arriver à une insalubrité rarement atteinte, d'une violence crue et viscérale. Et puis je me demande comment il l'a fait, mais ce coup de poing qui sort de nulle part - de dieu ! - j'ai cru me l'être pris, littéralement, cinq minutes plus tard j'étais encore à me gratter le nez pour m'assurer que je n'avais rien. Tout va mal donc, les masques tombent dans un chaos infernal, on défend son bifteck avec de la roublardise et une bonne dose de violence ou de lâcheté. Pour finalement remettre la table en place avec ses couverts, que toute la petite famille américaine dévoile sa pitoyable hypocrisie, parce qu'après tout, tout le monde il est beau, tout le monde il est content, et on se fait un petit KFC à l'amiable, et l'homme en sueur avec ses traces de vomis sur la bouche, et la femme le nez brisé et l'intimité abusée, le tout comme si de rien était. Pour qu'on reparte pour un tour cette fois beaucoup plus fort, beaucoup plus direct et corrosif et que lorsque enfin on arrive à calmer le jeu ce soit dans une naïve béatitude, les plaies encore ouvertes suite à la déflagration sismique de cet éruptif calvaire. Si au fond j'ai quelque chose à reprocher au film, c'est d'avoir une mise-en-scène très en retenue déjà parce que Friedkin (enfin il me semble pour ce que j'ai vu de lui) mais aussi parce qu'il s'agit d'une adaptation théâtrale et que de fait on le sent encore un peu. Un peu moins de pudeur n'aurait pas été de refus, mais j'avoue faire de l'enculage de mouche, parce que franchement... quelle claque !