William Friedkin ne semble jamais vieillir, toujours aux aguets, toujours prêt à accabler l’Amérique des gens biens, toujours prêt à choquer pour mieux faire ouvrir les yeux. Ici, avec Killer Joe, son dernier succès, après l’excellent Bug, le réalisateur de l’Exorciste, de French Connection ou encore de La chasse en revient au fondement d’une humanité qu’il dépeint comme malveillante. En effet, son film a ceci de particulier, l’on n’y trouve pas de trace d’amour, aucune, si ce n’est une relation fraternelle, seule espoir dans les tréfonds du vice auquel sont attachés les personnages, tous. Oui, un fils, un ex-mari, mandatent un assassin qui n’est autre qu’un représentant de la loi le jour, pour liquider maman ou ex-femme, le tout pour quelques malheureux dollars. Ils iront même jusqu’à livrer en caution la petite sœur de douze ans à Joe, celui sensé accomplir le forfait. Bref, le monde dépeint ici par Freidkin est effroyable, miséreux et sans espoir. Il s’agit d’emblée d’une prouesse, couper tout espoir de voir le soleil briller avant même que les choses sérieuses ne commencent.
En centrant souvent ses plans sur Chris (Emile Hirsch) ou encore Joe (Matthew McConaughey), Friedkin dévie l’attention du public qui devrait se concentrer sur la petite Dottie, la petite sœur victime des machinations de son entourage, de la perversité de Joe. Oui, celle-ci est Cendrillon, l’innocence enfermée dans une famille de dérangés néfastes et qui voit en le mauvais garçon venu tuer et profiter de leurs faiblesses, son échappatoire. Dottie prendra par ailleurs les commandes en main que ce monde déjà misérable autour d’elle tendra au chaos général et violent. Killer Joe est donc subtil, pas maladroit pour un sous mais demandait son pesant de réflexion pour bien l’appréhender. L’on pourra y voir de multiples débouchés, le scénario étant parsemé d’espérance, de désespoir, de malveillance, de tromperie ou de sincérité.
Difficile de se mesurer concrètement au travail de Friedkin qui ose ici tout ce qu’un cinéaste plus blafard n’aurait pu faire. En somme, le réalisateur se moque des pensées extérieures et met en scène sa vision des vies ratées de milliers de ses compatriotes, vivant dans des caravanes poisseuses, toujours affublés des mêmes fringues et courant inlassablement après quelques billets. Le Pitbull que l’on voit souvent est en ce sens aussi humain, dans le sens propre du terme, que les personnages miséreux du récit. Lorsqu’apparaît le personnage de Joe, sûr de lui, bien habillé, professionnel au regard perçant, l’on prend conscience que le loup est entré dans la bergerie, une bergerie peuplée de moutons salaces et peu fréquentables. Notre sadisme inavoué n’attend qu’une chose, que le loup fasse son office. Là encore, Friedkin brouille les pistes en transformant Joe en loup pervers, en sadique aussi peu fréquentable que la famille qui doit dissoudre.
L’on sent déjà que tout tournera mal et l’on reste attentif en attendant le basculement. Si Friedkin ose, l’exploit est d’autant plus marquant du côté des acteurs, Matthew MacConaughey étant tout simplement énorme en osant la pédophilie, le sadisme sexuel et la violence inavouable. L’acteur, inégal jusqu’alors, prend ici des allures de monstre pour sa plus belle performance devant une caméra. Emile Hirsch sait montrer sa souffrance, lui aussi montrant sans scrupules les mauvais côtés de son personnage. Lorsque finalement débarque les dernières vingt minutes, c’est scotché à notre écran, en pleine incertitude, que l’on attend de voir comment de cette vase dégoutante, vont sortir les pauvres personnages, torturés par le réalisateur, et s’ils s’en sortiront. Friedkin, en petit malicieux qu’il est, nous occultera là encore sa vision d’un final qui aurait permis trop aisément de clarifier son Killer Joe, film indépendant de tous genres, lourd de sens aussi bien que néfaste, et j’aime ça. Un film de maître qui s’adresse seulement aux élèves cinéphiles endurcis. Il n’est pas toujours permis de contempler le mal à l’état humain, purement. Le sadisme, l’effroi qu’inspire un personnage, une situation, est une chose que le cinéma peine à nous offrir mais paradoxalement, il est le seul domaine à pouvoir le faire, avec la littérature. Ici, Matthew McConaughey prend le costume d’un monstre, et c’est tout simplement impressionnant. 16/20