De façon un brin étonnante, j'aurais donc découvert William Friedkin surtout pour Matthew McConaughey (qui allait grâce à Killer Joe poursuivre son ascension vers la respectabilité) et même pas pour le réalisateur en lui-même, pourtant auteur renommé avec quelques classiques au tableau de chasse. A 77 ans, le cinéaste apparaît en tout cas toujours sous un jour très plaisant, décomplexé, refusant toute concession, filmant avec fougue et inspiration. Son histoire complètement amorale, relativiste au possible, sur fond d’Amérique redneck, celle des bouseux et de la fange humaine, est marquante de par sa noirceur et sa capacité à déranger. Si l'outrance conduit parfois à sourire, ça n'est en rien gênant puisque même dans ces moments comiques, le film conserve cette prégnance malsaine qui sert si bien le propos cynique sur l'Amérique et la civilisation. Pas sans rappeler les frères Coen, comme beaucoup l'ont dit. Surtout, Killer Joe est visuellement très accompli, surtout de par sa photographie vraiment chiadée et sa créativité pleine de volonté. Et les acteurs se mettent au diapason, à commencer bien sûr par un McConaughey saisissant en psychopathe extrêmement complexe, et impossible à cerner facilement malgré sa propension première au vice et à la folie hallucinée. Emile Hirsch s'en tire également très bien, et Juno Temple incroyable d'un sex-appeal qui culpabilise dans un rôle si jeune. Son personnage est la voie d'entrée dans un contre de princesse macabre, le noyau autour duquel les autres protagonistes et le propos que leurs actions dessinent gravitent véritablement. On sent d'ailleurs l'influence théâtrale du scénario, adapté d'une pièce de Tracy Letts, ainsi que les références à des structures dramatiques réutilisées puis détournées pour conférer une très belle richesse à l'ensemble, impressionnante pour ce qui peut se regarder comme une série B. Un point d'ailleurs très incertain, quand Killer Joe est assez malin pour être lu au premier comme au second degré, avec des effets différents. Bref, malgré des passages presque lourds où l'outrance menace dangereusement, l'écriture de cet OVNI anticonformiste et incroyablement noir est très, très réussie. Je rajoute, avant de conclure, un coup de cœur pour Thomas Haden Church dans son rôle de père obtus et dégénéré. Bref, une oeuvre marquante, loin d'être parfaite mais travaillée, osée et inventive. A 77 ans, c'est remarquable.