Plus de trente ans après le début de l’épidémie de SIDA, il y a eu de nombreux films, téléfilms et pièces de théâtre qui ont relaté le destin de cette génération fauchée par une maladie (on peut citer dernièrement l’excellent et oscarifié “The Dallas buyers club” ) qu’on a mis du temps à prendre au sérieux et à identifier tant dans son mécanisme que dans son/ses agents infectieux. Mais, pour la plupart, ils ont été écrits et réalisés des années, voire des décennies après les événements et parfois par des auteurs qui ne les avaient pas vécus. L’originalité de ce long-métrage, tiré de la pièce de théâtre homonyme écrite par Larry Kramer, c’est que l’auteur est un témoin direct des événements et qu’en plus il a écrit ce texte à peine quatre ans après le début de l’épidémie dans sa ville de New-York. Ce film est donc un témoignage fort et inestimable de l’état d’esprit des gens qui luttaient contre l’épidémie (et parfois contre la maladie elle-même) au moment même où cette dernière était encore une sentence de mort pour celui qui était infecté. Alors, bien sûr le film est probablement un peu partial dans son récit, particulièrement du fait de la personnalité assez clivante de son auteur (entre autre fondateur d’Act-Up), mais il reflète aussi une période sombre pour les gays quand en plus de la stigmatisation millénaire dont ils étaient victimes, s’est ajouté ce fléau qui en a fait des parias dont tout le monde, ou presque, se foutait. Car, le constat de ces premières années d’épidémie que dresse le film est terrifiant : inaction des pouvoirs publics qui considèrent que cette maladie, qui ne frappe que les homosexuels, n’est pas un problème majeur, voir pas un problème du tout, aveuglement de la communauté gay qui encore dans le paradigme de la liberté sexuelle refuse de voir cette liberté chèrement acquise remise en cause par une maladie qui ne touche que certains et dont le mode de transmission est encore flou et enfin pusillanimité des leaders de la communauté et des membres des associations qui viennent en aide aux malades et qui refusent de faire trop de vague de peur que leur orientation soit dévoilée et leur vie ruinée. Durant deux heures on assiste au combat d’un homme en colère qui ne comprend pas et n’accepte pas la lenteur et l’indifférence que cette maladie et les morts qu’elle amène provoque dans l’espace public. Si le film sonne parfois comme un réquisitoire contre les décideurs publics, la communauté gay en général et les médias, il n’oublie pas non plus le côté humain avec des scènes absolument bouleversantes dont les décès ne sont pas toujours les plus émouvants. Le casting pléthorique est lui aussi assez stupéfiant (Julia Roberts, Matt Bommer, Taylor Kitsch, Jim Parsons…) avec à leur tête un Mark Ruffalo au meilleur de sa forme. Un long-métrage sans concession qui dresse un portrait effarant et émouvant de cette sombre période des premières années de l’épidémie et dont le visionnage est, à mon humble avis, absolument indispensable.