Après Sexy boys (2001) sur une bande de jeunes adultes confrontés au sexe et au couple et Modern Love (2007) sur les rencontres, ruptures et réconciliations amoureuses, Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde marque la troisième réalisation de Stéphane Kazandjian.
Lorsqu'on l'interroge sur la genèse de ce faux documentaire qu'est Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde, Stéphane Kazandjian détaille sa perception de la société actuelle, lui qui a grandi dans les années 80, durant l'ère -entre autres- de Bernard Tapie. La chute du Mur de Berlin l'a ainsi beaucoup marqué : "C’est dire si les mythes du capitalisme comme horizon indépassable de l’humanité et de l’entrepreneur self-made man en tant que héros moderne ont pu influencer ma vision du monde" !
Le cinéaste argumente davantage sur les raisons qui l'ont poussé à tourner Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde en revenant sur l'éclatement de la bulle financière survenue à la fin des années 2000 : "(...) Avec le temps, le fossé entre le discours officiel et la réalité du quotidien m’ont amené à questionner ces dogmes. Avec la crise des subprimes, il est devenu de bon ton d'honnir les banques et les traders, comme si cela permettait d’exonérer de toute responsabilité le reste du monde économique, à commencer par les patrons des grandes entreprises. A côté des méchants banquiers, il y avait donc les gentils patrons du CAC 40 qui eux étaient là pour créer de l’emploi, de la richesse pour tous et faire de la France une championne de la globalisation. C’est à cette vaste fumisterie que j’ai voulu m’attaquer à travers ce film. "
Stéphane Kazandjian a choisi de tourner la situation en dérision en proposant une comédie plutôt qu'un documentaire (à l'instar d'Inside Job) ou un thriller (comme Wall Street) : "Plutôt que de jouer la carte de la dénonciation journalistique ou du suspense, j’ai opté pour une troisième voie : celle de la satire. Rire du pouvoir, pour mieux le critiquer. Car le rire peut être une formidable arme de contestation. En rabaissant les puissants, elle les ramène à ce qu’ils sont : des hommes."
Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde, joue sur les limites entre faux et documentaire, même si le film est bien évidement une fiction. Cela tient beaucoup à la forme, comme l'indique le cinéaste : "Aujourd’hui, la dramaturgie - le storytelling - a envahi tous les écrans. C’est flagrant avec la télé-réalité, où les comportements de «vrais gens» sont modelés pour s’inscrire dans une «histoire». Mais cela touche aussi les sujets des journaux télévisés, le discours politique et même certains documentaires qui empruntent plus que jamais leurs codes narratifs à la fiction. J’ai voulu faire l’inverse. Donner à croire que ce qui est entièrement fabriqué est saisi sur le vif, que cette fiction est «vraie»."
Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde est un documenteur. Ce genre cinématographique obéit à des codes spécifiques. Les documenteurs sont des films de fiction tournés comme s'il s'agissait de documentaires authentiques. Les techniques de réalisation, de cadrage et de montage répondent aux normes du reportage classique. Le plus grand réalisateur de documenteurs est certainement Peter Watkins avec La Bombe (1965) et Punishment Park (1970). A noter aussi Le Projet Blair Witch (1999), film d'épouvante sous les traits d'un documenteur.
Le film a été tourné avec une caméra HD, la Sony 900. Ainsi, il est plus facile d'assimiler le film à quelque chose de l'ordre du reportage. Certains plans montrent le caméraman du "documentaire" dans le film en train de réfléchir. Il s'agit du chef opérateur de Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde. L’ingénieur du son sur le film apparaît également à l'image dans le faux documentaire. Au final, comme le raconte Stéphane Kazandjian : "Nous avons tourné en ayant à coeur de maintenir l’intégrité du documentaire, en cherchant les bons axes, les bons déplacements, les plans de coupe qui restent logiques dans ce dispositif."
Le titre du film est, de l'explication du réalisateur, "un télescopage du fameux Moi Jean- Marie Messier, Moi-Même Maître du Monde et de Moi Christiane F, 13 ans, droguée, prostituée. J’aime bien ce clash de valeurs très ironique. Le film est le portrait d’un homme emblématique de son époque, narcissique, assoiffé de pouvoir, où la valeur humaine est avant tout celle de son compte en banque."
Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde, une forme de Bourgeois gentilhomme contemporain? Il y a du Molière derrière cette satire sociale, explique le cinéaste : "Tous ces hommes d’affaires, par leur caractère obsessionnel, font d’ailleurs de formidables personnages de comédie. Ils sont les dignes héritiers du Tartuffe de Molière, emblématiques des faux-semblants de notre société."
Kazandjian explique son point de vue sur les businessmen : "Ce sont des tueurs, sans état d’âme. Ils veulent toujours plus d’argent et toujours plus de pouvoir. Et ce de manière totalement décomplexée ! (...) Avec eux, on nage en plein délire narcissique. Ce sont de grands enfants qui se battent pour être celui qui ramassera le plus de billes à la récré. En même temps, ce sont aussi des hommes, avec des femmes, des enfants, des amis, avec qui ils savent se montrer très prévenants."
Le personnage principal du film, Michel Ganiant [joué par François-Xavier Demaison], est d'une important ambiguïté. Le réalisateur justifie les contradictions de cet individu : "Il y a des aspects très sympathiques chez lui et à défaut de prendre suffisamment de distance on pourrait très vite se retrouver à l’excuser, voire l’admirer. Pour autant, je ne voulais pas tomber dans l’excès inverse - humain, trop humain - qu’on trouve dans certains biopics et qui aurait pu décharger Michel Ganiant de ses responsabilités."
Michel Ganiant est une synthèse de plusieurs personnalités du milieu des affaires ou d'hommes politiques comme Bernard Tapie, Jean-Marie Messier [du groupe Vivendi], Bernard Arnault [propriétaire de Louis Vuitton], François Pinault [ex-détenteur du groupe Pinault-Redoute-Printemps], ou encore Nicolas Sarkozy. Kazadjian fait une description de ce personnage combinatoire : "C'est (...) un portrait composite de plusieurs grands patrons et hommes de pouvoir. Je ne voulais pas me focaliser sur une seule source. Déjà parce qu’attirer l’attention sur un seul patron risquait d’une certaine manière de blanchir les autres (...). Ceci dit, quand on compare les biographies de certains grands patrons bâtisseurs d’empire, il y a des points communs troublants. La naissance dans un milieu favorisé, la présence d’un mentor (souvent banquier) lors des jeunes années, le premier grand coup (rachat d’une grande entreprise publique revendue par pièces...), le besoin de briller «culturellement» au-delà de la sphère des affaires... Il y a comme une sorte de paradigme de l’homme d’affaires moderne qu’incarne Michel Ganiant."
Michel Ganiant n'est ce qu'il est que grâce à ses connexions. Le réalisateur évoque la Saga du Parrain : "Dans Le Parrain, la mafia était traitée comme une entreprise. Mais on pourrait dire à l’inverse que le monde des affaires a un fonctionnement mafieux. Il y a des clans, des familles qui s’affrontent, s’allient... Et au sein de ces clans, on retrouve des archétypes, très cinématographiques : le parrain des affaires, la courtisane, le conseiller félon..."
La femme de Michel Ganiant, Deborah (interprété par Laurence Arne), s'inspire librement de Carla Bruni. Kazandjian le confirme : "Sa relation avec Michel est un mélange d’amour sincère et d’intérêts croisés : elle lui apporte le glamour et une ouverture vers le monde des arts, et lui en retour lui assure une vie stable de princesse. Chacun apporte à l’autre ce qui lui manque."
A noter également que le nom du personnage n'a évidement pas été choisi par hasard : "Dans les années 60, la valeur était le courage et le héros s’appelait Michel Vaillant", précise Kazandjian. "Aujourd’hui, l’important n’est plus de participer mais de gagner, peu importe comment. Avec un nom comme Ganiant, tout est dit sur le personnage et la société qu’il incarne. Une société où on veut nous faire oublier que pour un Ganiant, il y a des milliards de perdants..."
Avant de devenir acteur, François-Xavier Demaison a eu une autre vie. Il a été avocat à New York. Ainsi, selon Kazandjian, "il comprenait parfaitement le personnage et a su ne pas «jouer» à l’homme d’affaires, mais au contraire se concentrer sur sa dimension humaine, son désir de séduction, son besoin d’apparaître comme «normal». Il est parvenu à rendre toute l’ambiguïté du rôle, à la fois sympathique et monstrueux." Quand l'acteur s'exprime sur le personnage qu'il interprète, c'est pour affirmer que Michel Ganiant est le pur produit de notre époque : "Il fait partie de ces gens qui sacrifient la forme au fond. Il se moque de l’humain, d’entreprendre pour entreprendre et de faire des choses avec des gens. C’est un type pour qui la seule valeur fondamentale est l’argent. L’argent donne le pouvoir, la femme, la stabilité, la famille, le bonheur… C’est le seul but vers lequel il tend. L’argent a pris toute la place dans sa vie."
Pour mieux camper son personnage, François-Xavier Demaison s'est inspiré de la 'langue de bois' de certains politiciens sur les plateaux de télévision. Il s'est également appuyé sur ce qu'il a vu dans certains séminaires du temps où il travaillait dans le monde de la finance : "(...) Il y avait un discours officiel (...) en décalage complet avec une violence inévitable."
Le faux documentaire dans Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde est tourné par un journaliste nommé Joseph Klein. Laurent Lafitte (que l'on a vu dans Les Rivières Pourpres, Ne le dis à personne, Les Petits mouchoirs), qui compose le rôle, en fait une description : "Je ne me suis pas inspiré d’un journaliste en particulier mais j’ai pensé à des gens comme Michael Moore, notamment dans son côté didactique et provocateur. Mais j’ai aussi pensé à Pierre Carles [le réalisateur de La Sociologie est un sport de combat, Attention danger travail, Volem rien foutre al pais]…"
Connu pour ses positions politiques, Guy Bedos interprète un parrain des affaires dans Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde : "C’est un film politique et anti-système et je suis dans ce combat-là. Je ne me sens pas complice de Lagardère, des banquiers, des grosses fortunes ou de Madame Bettencourt…"
La bande-son du film fait référence à la musique des Les Dents de la Mer ou aux partitions d'Ennio Morricone. Il y a également une chanson interprétée par Deborah, la femme du héros. Encore une similitude avec Carla Bruni.
Stéphane Kazandjian a cherché à distiller quelques éléments didactiques autour des mécanismes complexes du milieu de la finance : "Le problème de l’économie et de la finance, c’est que c’est à la fois très compliqué et très simple. Très compliqué parce que les structures y sont de plus en plus raffinées et entrecroisées. Mais aussi très simple parce qu’au final, on en revient toujours à quelqu’un qui vend quelque chose à quelqu’un d’autre qui l’achète. (...) Le recours à l’animation, outre son attrait graphique, permet par ailleurs d’insister sur la dimension ludique des affaires et participe au ton décalé du film. Au lieu de graphes sérieux, on se retrouve face à des petits bonshommes colorés qui se chamaillent. Cela dédramatise immédiatement la sacro-sainte économie ! "
Stéphane Kazandjian affirme que les réactions des grands patrons vis-à-vis du film ne sont pas redoutées : "(...) Ce sont de grands communicants et ils sauront tous récupérer les critiques à leur compte, montrer qu’ils sont beaux joueurs…Et si certains se reconnaissent, libre à eux de le dire publiquement ! Presque tout ce qui est dans le film est inspiré de biographies officielles, en vente dans n’importe quelle librairie. Et hormis quelques petits scandales vite réglés, rien n’a changé."
"Je crois qu’on a tous un petit côté Michel Ganiant au fond de nous, même si c’est dur à entendre !" certifie François-Xavier Demaison. L'acteur, qui a auparavant joué le rôle-titre de Coluche, l'histoire d'un mec, se trouve dans la peau d'un personnage aux antipodes du fondateur des Restos du Coeur. "Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde, nous renvoie à certains travers que l’on peut avoir et nous remet en question face à notre volonté de puissance. À la sortie d’une projection, j’ai entendu une femme qui disait à son mari : « Ce film me donne envie de faire de l’humanitaire », il lui a répondu : « Moi, ça me donne envie d’être milliardaire »…" A méditer, donc.
"Jouer dans ce film est un choix forcément un peu militant, en tout cas c’est un choix engagé" affirme Demaison. Quant à Stéphane Kazandjian, le cinéaste se veut porteur d'un message anti-capitaliste au travers de ce film, qui dénonce ses excès et les inégalités engendrées: "Non, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Non, je ne crois pas que le capitalisme tel que nous le connaissons aujourd’hui soit le seul système possible. (...) Surtout, même à défaut d’avoir une solution miracle, il est sain de ne pas s’interdire de penser le monde de manière radicalement autre." Et comment réfléchir à une alternative crédible? "Cela commence par la désacralisation de personnages comme Michel Ganiant, mais ça ne doit pas s’arrêter là. Car comme on le voit dans le film, Ganiant n’est au fond que le fruit d’un système - qu’il participe à maintenir. Se contenter de changer l’homme ne changera pas le système. Mais ça, il faudra malheureusement plus qu’une comédie satirique pour y parvenir ! "
Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde a été projeté au Festival du film de l’Alpe d’Huez en sélection officielle dans la catégorie hors-compétition. Ce festival est spécialisé dans la comédie française.