David Wark Griffith réussit un film très audacieux avec Le Lys brisé, un film vraiment marquant, et qui prouve qu’il est un réalisateur complet, capable de faire des miracles dans un registre très différent de ses grandes fresques historiques.
Je noterai juste deux petits défauts, enfin, un qui est tout de même assez problématique. D’abord le fait que le personnage asiatique principal est campé par un acteur très européen. Bien sûr cela peut être logique vu l’âge du film, mais c’est clair que ça fait bizarre, et ça abime un peu le sérieux du film, tant on a l’impression de voir un bal costumé. Dommage, mais bon, c’est l’époque du film qui veut cela, je ne lui en tiens pas rigueur. En revanche, plus problématique est le surjeu de l’acteur qui joue le père : Donald Crisp. Ce dernier est tout de même bien cabotin, et il n’a pas, en plus, un physique de grand boxeur, maigrouillet comme il est ! Là il y a sans doute eu une petite erreur de casting.
Malgré cela, Le Lys brisé reste un film très efficace. Si Crisp n’est pas mémorable, en revanche Lillian Gish est excellente. Le réalisateur s’attarde énormément sur elle, et je dois dire qu’elle est exceptionnelle, offrant un jeu touchant, rendant son personnage émouvant, et proposant quelques passages d’une étrange folie (le placard). Face à elle, et même s’il n’est pas asiatique, Richard Barthelmess joue juste, imposant une sobriété d’excellent aloi, et campant un personnage intéressant, pétri de ses dogmes de paix, mais qui saura les mettre de côté pour sauver une innocente (ou la venger ?).
Le scénario est très bon. Parfaitement rythmé, Le Lys brisé fait un peu penser dans son côté réaliste, cru, dans la beauté des sentiments aussi et dans son final inéluctable, à Tess d’Ubervilles. Fort, puissant, notamment par son final, abordant un sujet grave, celui de la maltraitance d’une enfant, ce qui charme ici c’est surtout la délicatesse des sentiments, ou la subtilité avec lesquels ils sont amenés. Pétri de très beaux moments, Le Lys brisé est une œuvre forte, touchante, sans temps mort, et où chaque séquence est essentielle.
Mais c’est vrai que son caractère vraiment imposant, Le Lys brisé le doit encore davantage à sa mise en scène. Griffith signe une réalisation dantesque, avec des scènes qui peuvent entrer dans la légende du cinéma muet. Le sourire, le visage de Cheng Huan qui se transforme à travers la vitre, en gros plan, la scène du placard, le final, Griffith est énorme dans ce film et s’impose clairement comme un des réalisateurs les plus importants et ingénieux de sa génération. Et il fait tout cela en limitant pourtant ses décors, les lieux dans lesquels se passe l’action. Comme quoi, à la différence de certains réalisateurs de grosses productions actuelles, avec peu de choses Griffith pouvait être tout aussi talentueux, et même encore davantage.
En clair, Le Lys brisé est un film très important, et un des grands moments de cinéma. Dommage vraiment que Donald Crisp soit peu convaincant, car dans ces conditions on était réellement dans un film idéal. Même si ça ne pourrait être qu’un détail, son importance dans le film est trop marquée pour que ça ne pèse pas dans ma note finale. 4.5