Quand il entreprend le tournage de « Un, deux, trois », Billy Wilder est au sommet de sa carrière hollywoodienne entamée presque vingt ans plus tôt et sa filmographie riche de 17 films est jalonnée de quelques chefs d’œuvre survolant tous les genres ( « Assurance sur la mort » en 1944, « Le Poison » en 1946 , « Sunset Boulevard » en 1950, « Le gouffre aux chimères » en 1951, « Certains l’aiment chaud » en 1959 et « La garçonnière » en 1960 »). Il a déjà été nommé six fois à l’Oscar du meilleur réalisateur et par deux fois décroché la précieuse statuette. Avec « La garçonnière » il a remporté un triomphe, son film avec Jack Lemmon ayant obtenu cinq oscars . Sa collaboration avec IAL Diamond pour l’écriture des scénarios de ses films entamée avec « Certains l’aiment chaud » est axée sur la production de comédies. Elle se poursuit donc avec cette pochade complétement délirante, basée essentiellement sur les absurdités de la Guerre Froide qui bat son plein depuis la fin du dernier conflit mondial. La chasse aux sorcières à laquelle Wilder a refusé de prêter son concours malgré un anticommunisme affiché n’est pas la moindre des folies générées par l’affrontement des deux blocs. Pendant le tournage du film dont l’action se déroule à Berlin, des barbelés sont érigés, préfigurant la construction du « mur de la honte ». Wilder et Diamond se saisissent d’une pièce de l’auteur hongrois Ferenc Molnar parue en 1929 (« Eggy, kettö, hàrom ») en l’actualisant et en la remaniant quelque peu afin d’y placer les nombreux gags et péripéties qui en feront tout le sel. Tout sera bon pour tourner en dérision, souvent par l’absurde, ce qui sépare communisme et capitalisme tout en rappelant que les individus même endoctrinés sont capables quand les circonstances, leurs intérêts ou leurs sens l’exigent de s’affranchir des dogmes et règles imposées. Billy Wilder usera sans vergogne du procédé plaçant sa comédie sous le patronage tout à la fois de l’humour nonsensique des frères Marx et du rythme endiablé de la « screwball comedy » des années 1940. Le rythme justement est donné dès l’entame avec l’exposition du contexte et la présentation du personnage principal. C.R MacNamara (James Cagney) est le représentant à Berlin de la firme Coca-Cola, symbole par excellence du colonialisme économique qui ne connaît pas de frontières. Cherchant à relancer sa carrière et en quête d’un poste prestigieux à Londres, MacNamara œuvre seul en terre étrangère à la tête d’un personnel germanique n’ayant rien perdu des réflexes martiaux qui seize ans plus tôt ont conduit la ville de Berlin autrefois capitale culturelle de l’Europe à être coupée en deux. Avec le sens du détail qui le caractérise, le réalisateur d’origine autrichienne donne immédiatement le ton de ce qui va suivre. Une succession de gags délirants avec pour chef d’orchestre un James Gagney tout juste soixantenaire, ravi de revenir au premier plan et qui va ne va pas louper l’occasion de montrer qu’il est encore en pleine forme. C’est en effet lui qui tient le film sur ses épaules. On dit qu’il ne s’est pas entendu avec Billy Wilder. Pas étonnant quand on connaît le caractère des deux hommes et surtout la performance qui était demandée à l’acteur. L’intrigue prend corps quand la fille du patron de MacNamara interprétée par Pamela Tiffin,
débarque à Berlin pour des vacances prolongées qui ne seront pas de tout repos pour celui-ci quand il apprendra que la jeune écervelée, après s’être amourachée d’un jeune communiste enragé (Horst Buschholz) est désormais mariée et enceinte. Cerise sur le gâteau, le grand chef décide de venir sur place rendre visite à sa progéniture. La promotion de MacNamara a dès lors du plomb dans l’aile
. Du nanan pour un Billy Wilder qui se saisit de tout ce qui passe à sa portée pour développer ses gags, fournir un bon mot ou lancer un clin d’œil au passé d’Hollywood. Gagney aura ainsi le droit de se saisir prestement d’un pamplemousse pour rappeler que dans ses mains, le fruit juteux pouvait être redoutable en 1931, quand sous la direction de William A Wellman (« L’ennemi public »), il le propulsait en direction de Jean Harlow, sa ravissante fiancée. Il faut certes avoir son attention solidement mobilisée pour louper le moins possible du flot continu qui se déverse mais la cohérence dont font preuve Wilder et Diamond dans leur agencement facilite grandement les choses. Assurément, aucun autre que Wilder à ce moment de sa carrière pouvait réussir une telle prouesse. Le casting a beau être un peu faible avec Horst Buchholz et Pamela Tiffin particulièrement fades, le rythme et l’architecture du scénario emportent tout sur leur passage. On soulignera en dehors de James Cagney incroyable, les performances roboratives de Liselotte Pulver et de Hanns Lothar tous les deux impayables en archétypes germains. Malheureusement, le film n’aura pas le succès escompté, contribuant à la progressive perte d’influence de Billy Wilder à Hollywood. Quant à James Cagney que l’on aurait pu croire relancé par sa performance, il ne réapparaîtra devant une caméra qu’en 1981 pour « Ragtime » de Milos Forman.