Impeccablement mis en scène astucieusement retors. Prisoners, de Dennis Villeneuve, fait incontestablement figure de thriller de la décennie. Oui, alors que l’compare le travail du cinéaste québécois à celui de David Fincher, soyons certains que l’avenir du bonhomme est pour le moins assuré. Indépendamment d’un récit noir captivant et d’une excellente notion du suspens, la photographie, la mise en scène et la distribution des rôles tiennent ici du prodigieux. Il faillait bien entendu faire preuve d’audace, coté réalisation, pour que le film sorte du lot, le thriller étant une variation très éculée depuis maintenant des décennies. Alors que le polar, couché sur papier, fait toujours son petit effet auprès des lecteurs, l’on ne peut malheureusement en dire de même en ce qui concerne le septième art. D’année en année, le style est omniprésent, souvent exploité futilement, sans réel talent et surtout, à toutes les sauves. En revenant vers le traditionnel, Villeneuve démontre que le genre est loin d’avoir fait son temps.
Hormis de formidables prises de vues, une bande son atmosphérique maladive et un cadre automnale inquiétant, c’est vers le casting que doit se tourner l’attention du public. Là encore, c’est un sans-faute surprenant, orchestré par un tandem d’acteurs pour le moins au sommet de leurs échelles de compétences. Si l’on savait Jake Gyllenhaal prometteur et charismatique, l’on retrouve ici l’acteur sous son meilleur jour, en prise avec ses démons, clignant des yeux maladivement, forme de tique, flic audacieux face à la cruauté de son prochain, une cruauté qui le détruit. D’autre part, et là c’est plus inattendu, voici venir un Hugh Jackman comme on ne l’avait jamais vu. Profondément humain, un regard de chien battu assorti d’un moral d’acier, homme fort bafoué alors que sa progéniture disparaît, l’acteur compose un rôle, selon moi, à classer parmi les plus impressionnant de ces cinq dernières années. Les deux maestros, accompagnés de l’excellence des seconds rôles, Terrence Howard, Viola Davis, Paul Dano ou encore Maria Belle et Melissa Leo, tous composent un casting d’anthologie, chacun à sa juste place.
Coté intrigue, c’est bel et bien vers un douloureux mélodrame que nous entraîne Dennis Villeneuve. Ici, inutile d’y exploiter violence et sévices, comme aime à la faire le cinéma contemporain, sûr de son fait en faisant du sang et des cadavres les éléments accrocheurs de leurs productions respectives. Non, ici, le réalisateur canadien laisse présager le pire en ne versant jamais dans la surenchère horrifique. La morale des personnages tient une haute place dans la bonne lecture de l’œuvre. Si l’on ne connaît rien du monstre hypothétique se cachant derrière les disparations, l’on pourra, à souhait, contempler la dégringolade des âmes en peine laissée sur le chemin du mal. D’un père au bout de ses forces qui torturent l’hypothétique responsable de la disparition à un flic désabusé, avisé des maux de l’humanité en passant par des victimes traumatisées ou par des familles au bord du désespoir.
Dennis Villeneuve pousse inlassablement ses protagonistes au bout de leurs forces morales et dresse une très mince frontière entre criminel, victime et homme de loi. Le réalisateur, choisissant l’option d’un récit lent et structuré à la manière d’un polar écrit, parvient tout de même à surprendre lorsqu’il fait apparaître ses serpents, électrochocs inattendus qui rendent encore plus surprenante l’expérience oppressante que vit le public. Un film majeur, indéniablement, qui aurait sans conteste mérité sa place lors d’une cérémonie des Oscars. Acteurs au top, photographie soignée, musique délicate, récit oppressant autant que suprenant, tout y est. L’on reconnaît dès lors chez le réalisateur d’Incendies et Enemy la marque des grands. Soyons certains que le réalisateur a encore de beaux jours devant lui. Merci Dennis. 18/20