Gros succès critique et public de l'année 2013, Prisoners avait pour moi le petit défaut de mettre en scène deux acteurs que je n'aime pas particulièrement, sans les détester pour autant. Un petit rien certes, mais la présence de Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal m'a bloqué jusqu'à ce soir, où j'ai eu l'idée, plutôt bonne, de jeter un œil à quelques images du film et me suis décidé à le voir. Pour cause, ce qui frappe d'entrée avec Prisoners, c'est sa grande qualité visuelle. Denis Villeneuve, réalisateur canadien repéré par Hollywood après des débuts réussis sur son sol, ne force jamais sa mise en scène et choisit la lenteur pour créer une nausée, un sentiment d'engourdissement - ainsi que pour trancher avec les moments de tension. La lenteur de certains travellings confond la vue avec celle d'un prédateur méticuleux, patient, d'un calme méthodique. L'ambiance visuelle oppressante est renforcée par un environnement pluvieux et une photographie sombre, sans jamais dégoûter ni sombrer dans l'excès, ravissant plutôt au contraire par des éclairages splendides et souvent idoines. La bande-sonore est un peu en-deçà, dans une discrétion un peu trop marquée à mon goût. Qu'importe, dans la forme, ce thriller vaut bien Zodiac, s'il n'égale pas Se7en (la comparaison avec Fincher est inévitable). Dans le fond, la qualité se maintient, Prisoners arrivant à brasser un tableau moderne de l'Amérique et de ses occupants avec des allusions religieuses pessimistes, affirmant fermement l'impuissance du dogme devant la noirceur humaine. Et bien sûr, le thriller en lui-même reste efficace, quoique Villeneuve délaisse peut-être quelques éléments intéressants à creuser. Mais l'ensemble, cohérent (et c'est assez rare qu'un long-métrage le soit à cent pour cent) et plutôt fouillé, convainc d'autant plus que tout en lui semble lié, que chaque fait est explicité par des événements antérieurs, que la caméra avait déjà (même subrepticement) dévoilés. Ici, Prisoners me rappelle les thrillers coréens de Bong Joon-Ho (Mother, Memories of Murder) ou de Na Hong-Jin (The Chaser), où la limpidité et la linéarité de la séquence des événements apparaît totale, une fois ceux-ci dévoilés. De quoi donner, avec le cadre spatio-temporel réduit, une impression de proximité avec le mal, et d'injecter en jouant avec celle-ci le sentiment que malgré cette proximité, l'impuissance d'endiguer la vague criminelle dès le début demeure. Une impuissance qui fait écho et découle directement de l'impossibilité pour l'Homme lui-même de changer sa nature. Ici, le désespoir est quand moins marqué qu'au pays du matin calme, la faute à une fin ouverte un peu gentille et également très discutable dans la mesure où elle empêche le propos d'atteindre avec sûreté une vraie finalité. Pas destructeur donc, Prisoners est quand même un thriller prenant et très efficace. Les regrets viennent majoritairement de la prestation forcée (et pas qu'un peu, le bougre !) de Hugh Jackman. Dommage, quand Gyllenhaal est un parfait flic taiseux et intériorisé, quelques clignements d’œil trop répétés (blépharospasme ?) mis à part. Solide, voilà un thriller qui ne vaut pas les meilleurs David Fincher mais sait, s'il leur ressemble, ne pas se muer en épigone et trouver sa voie, entre enquête et psychodrame.