Nul doute que le réalisateur canadien Denis Villeneuve a encore de beaux jours devant lui aux Etats-Unis, comme le prouve son nouveau film, qui monte d'un cran budgétaire par rapport à sa dernière réalisation, le remarqué Incendies, et qui se permet d'employer une brochette d'acteurs, tous cadors dans leur domaines respectifs. Car si il doit y avoir un sujet de satisfaction dans Prisoners c'est bien le casting. Mené par un Hugh Jackman qui, depuis son passage à Broadway, semble plus aiguisé au niveau de ses choix scénaristiques et s'offre un second souffle salutaire dans une carrière en dent de scie (tout en renfilant épisodiquement le costume de Wolverine, on ne se refait pas), Prisoners aligne en plus le toujours impeccable Jake Gyllenhaal, l'étoile montante du cinéma indépendant Paul Dano et la trop rare Maria Bello. Tous sont extraordinaires dans des compositions habitées d'une rage folle et rendues à la limite du supportable. Le jeu tantôt sobre, tantôt explosif de Hugh Jackman survole le film tandis que son personnage s'enfonce dans des abîmes qu'il a lui-même creusées. Gyllenhaal est peut-être encore plus inquiétant, tout en mesure et en calme, mais dont la nature violente et torturée est sans cesse rappelée par un tic visuel génial. Et il fallait bien Paul Dano pour cultiver l'ambigüité de son personnage en un minimum de répliques.
Malheureusement si le casting est clair, tout comme l'est l'intention de Denis Villeneuve de nous emmener aux limites de la psyché humaine, le scénario aurait mérité d'être élagué d'une bonne demi-heure, car l'intensité du troisième tiers du film parvient mal à rattraper la platitude d'une enquête de police menée avec une routine soporifique. Si les émois de Hugh Jackman et le crescendo de folie qui les accompagne suivent une terrible logique, emprisonnant le spectateur tout autant que le personnage, les scènes qui s'attachent à Gyllenhaal en exclusivité ont tôt fait de faire retomber la tension savamment installée antérieurement. Villeneuve lorgne du côté des polars suédois et tente la viscéralité et le réalisme comme moteurs d'une action mollassonne, mais force est de constater qu'il ne pas la maîtrise suffisante pour insuffler l'insoutenable dans le quotidien sans que cela passe vite pour une gaudriole. N'est pas sud-coréen qui veut. Néanmoins sa réalisation grise et froide, faisant la part belle aux gros plans (il sait de fait où se situe les points forts de son film) est anxiogène au possible et laisse planer un climat de doute dérangeant. Dommage que l'histoire ne rende pas justice à la caméra, car on est plus dubitatif que époustouflé lorsque le récit nous assène à grands coups de symbolisme ses labyrinthes récurrents et ses twists qui n'en sont pas.
Au bout des 146 minutes et d'une fin ouverte somme toute prévisible, on obtient un film pas dénué d'intelligence et qui montre une belle volonté du cinéma américain de s'affranchir des sempiternels thriller à la testostérone, un film porté par ses acteurs, mais auquel il manque une réelle cohérence narrative, un film réussi lorsqu'on le compare à ses pairs, mais raté quand on imagine ce qu'il aurait pu devenir si son réalisateur avait attendu quelques années avant de s'y attaquer.