Prisoners pousserait presque à œuvrer pour la réhabilitation des camping-cars, parce que du RV symbole d'instabilité à la pédophilophobie mania, il n'y a qu'un pas -franchi allègrement par Denis Villeneuve.
En réalité, qu'importent les camping-cars : seul compte le choix de la délinquance sexuelle, pas encore passée de mode et, après tout, matière à bon thriller. Dommage, cependant, que le thriller en question ne serve que de prétexte à une propagande américaine servie par un Québécois : attention, braves gens, dans un rayon d'environ quinze kilomètres autour de chez vous se cachent une dizaine de pervers. Le prêtre ? Évidemment ; mieux vaut donc rester à la maison que d'aller à l'Église. Vous connaissez le refrain ? "Our Father who art in heaven, hallowed be thy name. Thy kingdom come. Thy will be done on earth as it is in heaven. Give us this day our daily bread, and forgive us our trespasses, as we forgive those who trespass against us, and lead us not into temptation, but deliver us from evil." Le film s'ouvre sur cette prière d'un lyrisme certain, puis assomme de croix.
En réalité, qu'importent les croix : seule compte la statistique. Tout le monde se fiche du nombre d'étudiants japonais cannibales qui vivent à Paris -grossière erreur, mais Hannibal a fait son temps ; de nos jours, tout le monde chasse le pédophile comme la biche. Alors Paul Dano d'en prendre -littéralement- plein la figure à cause de son recreational vehicle, parfait pour enlever les petites filles, et de ses lunettes plus grosses et ringardes que celles de Marc Dutroux. Bon d'accord, il a une drôle de tête Paul Dano, et il a une drôle de tête son personnage ; son personnage est un incapable majeur, un teubé quoi, sauf que ses garanties procédurales supplémentaires, l'Amérique s'assied dessus.
En réalité, qu'importent les garanties procédurales supplémentaires : il ne morfle vraiment qu'entre les mains de Hugh Jackman. Pas étonnant qu'avec un beauf pareil en guise de père la gamine ait fugué ; d'ailleurs, elle part juste avant qu'il n'admette chanter l'hymne national sous la douche. Vous connaissez le refrain ? "Tis the star-spangled banner! Oh long may it wave / O'er the land of the free and the home of the brave." Cinq minutes de plus et elle concluait un contrat avec trois ex-Marines enragés pour qu'ils massacrent sa famille à coup de marteau, à la You're Next. Ah, elle a vraiment été kidnappée ? Par Paul Dano ?
En réalité, qu'importe la culpabilité : Hugh Jackman a juste besoin de se défouler, de cogner, de... Oh le salaud, il commet un déni de marteau -prohibé par l'article premier de la Convention coréenne des droits de l'Homme. À la place, il encage son gibier ou, plutôt, l'enferme dans un cagibi en contreplaqué : un mètre carré de dignité, avec une chaudière qui déconne, pour le prix dérisoire de la bonne conscience d'une Amérique qui préfère mille fois définir la bonne cause, d'intérêt général ou particulier, qu'interdire la torture, principe intangible s'il en est. Bien sûr, le couple d'amis dont la fille a également été enlevée s'en lave les mains : il n'appartient pas à la caution afro-américaine du film de donner son avis sur un sujet qui la dépasse. Bien sûr, l'insupportable Maria Bello considère son bourreau de mari comme un homme bon : il lui apporte le "daily bread" et lui tend les petites pilules qui la "deliver [...] from evil".
En réalité, qu'importent les petites pilules : Paul Dano attend toujours que Jake Gyllenhaal le sorte de son cagibi ; après tout, un inspecteur nommé Loki doit être ingénieux et partager avec le dieu nordique davantage que la coupe de Tom Hiddleston dans Thor. Ainsi, lorsque Loki brûle, il entrevoit, par le glory hole, la fin de l'eau qui brûle ; puis Loki refroidit et les cheveux gominés envahissent son esprit. Mais n'y a-t-il vraiment rien sous ce casque ? Jake Gyllenhaal se doute quand même que la gamine risque moins de souffrir avec son kidnappeur qu'avec son fou furieux de père. Et de toute façon, l'enquête piétine : il est trop occupé à cligner des yeux pour réfléchir -mais attention, braves gens, ne vous moquez pas des tiqués.
En réalité, qu'importent les tics : le pauvre flic n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent. David Fincher lui manque, Bong Joon-Ho se fait désirer... Deux heures qu'il attend son coup de fil. Défoncer un clavier Acer soulage, certes, mais à court terme seulement. Puis, le scénario ne le satisfait pas : deux petites filles droguées au coca-cola et forcées de gagner à la marelle pour rentrer chez elles... Jake soupire, Jake hésite : peuvent-elles perdre à la marelle ? Aussi propose-t-il à l'auteur, dans l'incertitude, de remplacer ledit jeu par un labyrinthe : enthousiasme général. A maze? That's fucking amazing Jake! It's like the corpse's necklace that's found in the priest's basement! "Amazing grace, how sweet the sound, / That saved a wretch like me!" It's fucking symbolic mate! How? Never mind how! Amazing!
Never mind how. Never mind la belle photographie, sombre et glaciale ; never mind les belles prestations des acteurs principaux ; never mind les quelques scènes prenantes, l'arrêt de Paul Dano en tête : Prisoners est grossier et prétentieux.