Il y a parfois des films (ou des livres) pour lesquels il faut laisser "décanter" pour les juger objectivement. C'est le cas pour celui-ci. Prisoners est le huitième film réalisé par Denis Villeneuve. Ce n'est pas qu'un réalisateur, c'est aussi un scénariste au talent plusieurs fois récompensé. C'est justement, je veux parler de son expérience scénaristique, ce qui m'étonne puisque ce film présente plusieurs incohérences. Ca n'apparait pas forcément tout de suite, mais une fois l'émotion passée (c'est un thriller très prenant) et que la pensée revient juger l'ensemble, plusieurs détails font tâche. Mais de quoi s'agit-il dans ce film ? D'abord d'une chose horrible redoutée par chaque parent : l’enlèvement de deux gamines pendant un repas entre deux couples voisins dans une banlieue tranquille en Pensylvanie. Les deux enfants jouent dehors, c'est un dimanche pluvieux et morose (le décor est planté) et après quelques recherches désespérées, aucune des deux filles ne réaparait. Seul indice, la présence d'un camping-car aperçu un peu avant, stationné dans la rue avec quelqu'un dedans... Le personnage de Hugh Jackman, lui, a déjà été présenté en ouverture, dans toute sa splendeur d'américain très certainement Républicain (au mieux ; mais comme il a des amis Noirs on peut penser qu'il n'est pas extrémiste...), chasseur, catholique convaincu, et légèrement fêlé puisqu'il fait partie de cette Amérique qui entasse des victuailles et des munitions dans sa cave parce qu'il faut être "toujours prêt". Bref, le genre de type chez qui la grande majorité des gens normaux n'iraient pas forcément dîner sereinement. Le flic solitaire (bonjour le cliché) l'inspecteur Loki, est joué par l'excellent Jake Gyllenhaal, et c'est le seul rôle sympathique de ce long métrage. C'est un bon flic, du genre qui ne lâche aucune piste, mais le père d'une des gamines (Hugh Jackman) juge qu'il ne fait rien et ne comprend pas sa douleur. Je vous parlerais bien des rôles féminins, mais visiblement le rôle des mères ne méritait pas de s'y attarder dans ce scénario, sauf pour une chose sur laquelle nous allons revenir. L'inspecteur Loki fait son travail et rapidement intercepte un suspect ; mais faute de preuves, il faut finir par le relâcher. Loki reste toutefois sur sa piste à la fois par instinct, mais aussi parce que le père le harcèle. Ce dernier finit par céder à la panique, et enlève le suspect pour l'enfermer et le... torturer dans l'espoir qu'il avoue. Parce que étrangement, ce jeune retardé mental suspecté de l’enlèvement, lui a glissé à l'oreille à sa sortie du poste de police que les gamines n'avaient pleuré que quand il était parti... Cette phrase n'ayant été entendu que par le père, personne ne la prend véritablement en compte, pensant même que le père a inventé ou voulu entendre ce qu'il espérait. Vous remarquerez le soin apporté à dédouaner la colère forcément juste du père et des actes immondes qui suivront : nécessité fait loi. Et là, le propos devient carrément tordu. Le deuxième père (Terrence Howard) resté jusque là en retrait, est sollicité par le premier pour imposer la question au "coupable présumé". Il va suivre, horrifié et apeuré, mais il va suivre, un temps. Jusqu'à ce que sa conscience lui dise d'en parler à sa femme (Viola Davis) qui elle va réagir en deux temps : primo, elle demande à voir le prisonnier et tente d'obtenir des réponses, en vain. Deuxio, elle décide de ramener son mari au foyer, "décidant" de laisser faire le sale boulot par l'autre père. En clair, s'il réussi à le faire parler tant mieux, s'il n'y arrive pas, nous n'avons pas de sang sur les mains... Heu... Comment dire ? Y'aurait pas comme une parabole à deux balles là ? Hugh Jackman incarnerait donc l'Amérique profonde, un peu déjantée, mais qui sait agir comme il le faut parfois, la fin justifiant les moyens ; et l'autre père serait l'incarnation de Barack Obama qui n'a pas su se positionner par rapport à Guantanamo, voulant interdire mais continuant à laisser faire le sale boulot par d'autres sachant qu'il est malgré tout nécessaire. Bein sûr, comme tout être faible, c'est sa femme qui au final porte la culotte... Beurk... Bonjour la thèse...
Pour le reste du film, je passe les détails, mais disons que comme tout thriller qui se respecte, il faut des fausses pistes. Et il y en a dans Prisoners. Sauf qu'au final, on ne comprend pas leur cohérence. Je ne vais pas dévoiler tout le film, mais si quelqu'un peut m'expliquer quel est le lien entre Alex et David ? Pourquoi il y a des serpents dans les caisses ? Pourquoi David semble tout faire pour se faire accuser ? Par quel "hasard" y a t-il autant de prédateurs au m² dans cette ville ? Comment la première gamine finit par s'évader ? Pourquoi Hugh Jackman ne se fait-il pas tuer une fois dans le trou ? Pourquoi des flics portent leurs armes en salle d'interrogatoire ? Puisque les gamines sont montées dans le camping-car, comment se fait-il qu'il n'y ait aucune trace d'elles dedans ? Comment Alex peut survivre sans eau et sans mourir d'hémorragie ?... Sans évoquer plusieurs autres détails... Bref ; certes, l'ambiance de ce film est presque physique, proche de l'univers de Seven ou du Silence des agneaux. Cela repose beaucoup sur la prestation de l'australien minéral et inquiétant (surtout avec son gros bouc) qu'est Hugh Jackman. On dirait une bonbonne de gaz dans une cheminée... Mais la comparaison avec ces deux films cultes s'arrêtent là. Une ambiance ne fait pas tout si le scénario n'est pas bien ficelé. Quel est l'un des meilleurs films au monde ? Usual suspect, grâce à un scénario qui coince le spectateur dans ses convictions et finit par lui faire comprendre à la fin du film qu'en vérité... il n'a rien compris ! Prisoners est loin de ça. Il aurait pu être un film critique sur la société américaine, mais son approche est tellement caricaturale que ce n'en est même pas un. Alors au final, malgré la prestation artistique, c'est un film raté.