Critique du film-Prisoners
Dans ce film d'une jouissance absolue, tout nous est compté, sans cesse, à la moindre seconde nous nous défragmentons, sans comprendre ni d'où ça vient, ni pourquoi. Et, pendant ce temps contre la montre, nous perdons tout : notre sang froid, nos nerfs, notre conscience, nos espoirs, notre calme, et, tant bien que mal, notre morale...
Ce film, qui parle de l'enlèvement de deux petites filles et des conséquences autour des familles de l'univers qui les entoure, a une force très particulière. Cette force, que l'on retrouve chez De Villeneuve, est caractérisé par des plans d'une grande puissance. [Aucun plan n'est redondant, aucun. Chaque morceau de scène est d'une sensibilité rare, on se sent durant chaque plan, comme confondu dans chaque partie d'une scène.] Chaque plan est intriguant, accompagné d'un certain mystère. Et le réalisateur adore jouer là dessus, sur cette incompréhension quasi totale à chaque scène, qui de plus monte crescendo. Le peu que l'on a compris suffit pour créer chez nous un énervement dans la réaction de chaque personnage. La mère pleure dans son lit et met tout le monde sous pression ce qui ne fait que énerver d'avantage (nous et chaque personnage), les ados ne se rendent pas compte que les filles ne sont plus là et y pretent à peine attention, le détective suspecte trop tout le monde au point d'en devenir parano...
Tout cela, le réalisateur adore jouer dessus. C'est ce qui fait qu'il crée des plans absolument délirants, et si ils sont délirants c'est parce qu'ils ont la saveur du mystère, de la perte de controle, de la peur. On a notamment un plan en zoom sur un tronc d'arbre, une musique qui gronde derrière. On pourrait penser que ca n'a aucun rapport, mais le réalisateur cherche simplement à nous perdre, et particulierement à nous rendre dingue. Nimporte quel autre plan n'aurait pas marché, celui là est singulierement parfait. D'autant plus que peu après le fameux coupable se plante contre un arbre en conduisant son camping car. Avec l'amorce, le plan a toujours des nouvelles conséquences mysterieuses et interrogatives même après lui.
Cet enervement qu'on a de plus en plus durant le film (et qui nous rapproche aussi plus de chaque personnage qui sont dotés de la même absence de réponse que nous à leur interrogations) et qui est du à deux choses : l'incompréhension qui fait que l'on est tellement pris dans l'histoire que cela nous concerne aussi et que chaque personnage qui ferait un choix qu'on jugerait mauvais nous énerve, est l'idée directrice de l'oeuvre. Il conditionne chez nous les mêmes réactions que chez les personnages, de manière simulée. Cela provoque chez nous le fait d'être conquis, mais aussi-et c'est la force du film-de nous questionner moralement, que ferons-t-on ? Ou plutôt, que faire ? Cela nous embarque encore plus dans l'histoire et nous offre un point de vu hyper subjectif. De Villeneuve fait partie ici de ces réalisateurs qui prennent à parti le spectateur, il est pas passif. Et ça c'est génial ! C'est tout ce qu'on attend d'un film, et c'est ce pourquoi il crée tant d'émotions chez nous et est une réelle expérience.
A chaque scène semble surgir une force, une espèce de force qui regarde sans que l'on en soit au courant. Il y a cet espèce de désespoir qui monte dans le film et qui crée une colère ambiante. Ce qui est génial chez Villeneuve, c'est son laisser aller dans le silence, dans l'attente, dans la petite proportion des dialogues et des plans. Ce qui crée des longueurs avec peu de coupures qui permettent aux acteurs de s'exprimer.
Le cinéaste joue sur cette force invisible, cette non compréhension, cette impossibilité à capter, à tenir, quoi que ce soit de concret. On ne sait pas réellement comment elles ont été enlevé, on a des pistes mais pas vraiment non plus. On commence en se disant qu'il y a une raison concrète puis, plus l'enquête avance, plus on se perd (tel le detective, on se perd avec lui), on devient fou comme l'enqueteur, on n'est plus sur de rien, on ne sait plus quoi penser, on se dit qu'il y a une espece de raison qui fait qu'elles ont été enlevé mais on ne sait pas quoi, plus on avance et plus on a l'impression de vivre un rêve, une folie. Plus on avance et plus on finit par croire qu'on en trouvera jamais la raison, qu'il n'y en a peut être même pas une, qu'il y a un phénomène non explicable ("...nobody took them, nothing happened. They're juste gone...". Cette réplique exprime de manière parfaite tout la force du film, toute sa forme, et tout ce qui meut, met en mouvement, l'univers, les personnages et leurs actions, et les évènements du film). Et cela rend dingue en fait d'être face à ce mystere où on ne peut réellement accuser personne mais où en même temps on peut accuser pleins de monde, où les accusations sont légitimes chez chacun des suspects, car il y a une sorte d'indice qui les mène à eux mais sans réellement les mener c'est toujours pareil. Il y a une sorte d'ambiguité totale sur laquelle joue le cinéaste. C'est ce qui fait que peu à peu on finit par se dire : peut qu'il n'y a pas de raison, peut qu'il n'y a rien. En fait on finit par ne plus y croire, par ne plus croire qu'elles seront retrouvées vivantes. Mais on finit aussi par ne plus croire qu'elles seront retrouvées tout court, on finit même par penser qu'il n'y aura aucune explication ni pour nous ni pour les personnages : que tout le monde finira par devenir completement maboule, qu'il y aura des conséquences entre les personnages (suicide, colère, bref : destruction et chaos...), que les personnages finiront même pas ne plus chercher à comprendre, que l'histoire ne portera plus sur la recherche (en vain) à la fin mais simplement sur la double facette qui prendra forme et la place principale du récit à savoir : les interactions des personnages, leurs conséquences et le chaos de ceux qui restent en fait. Et c'est là que l'auteur et notamment Denis De Villeneuve est très fort : ils finissent par nous transformer comme les personnages, c'est exactement ce qu'on recherche ici (sans l'avoir su au préalable evidemment), finir par devenir comme les personnages, finir par avoir l'impression d'être à leur place. On devient dingue comme eux (à force d'être flouté). On finit par être dans une espece de mystere où on y croit plus et on redoute que les personnages (auxquels on s'est identifié par leur inquietude grandissante commune avec la notre) deviennent fous (sensation qu'on finirait par obtenir-par effet miroir-si c'est leur cas). La deuxième force du film c'est la surprise. C'est que l'auteur nous plonge dans une espece de mystere où on finit par ne plus croire en rien à part le fait qu'on ne les retrouvera pas vivantes, voire pas du tout, et que l'on aura aucune explication dessus. Il nous plonge donc dans ce désespoir total et concret, il arrive à mettre dans le sac la plupart des spectateurs (même les plus dur à convaincre), pour enfin nous sortir qu'on va les retrouver et qu'il y avait une raison, qui est rationnelle, et qui est en rapport avec ce qu'on a vu precedemment (donc qui parle au spectateur). Ce total renversement de situation nous donne encore plus envie de savoir ce qu'il s'est passé, cela nous attache encore plus à connaitre l'explication dans les détails.
Il y a une attention accordée à chaque personnage. Le film se rapproche énormement de chaque personnage, notamment du détective qui devient dingue, completement obsédé par l'enquête. Et cela on le ressent, comme si c'était nous, parce que la mise en scène exprime parfaitement le personnage. Plus on se met à la place d'un personnage, plus cela signifie que le scénariste et le réalisateur l'aime vraiment. L'inspecteur est hyper attachant, car on sent son obsession pour l'enquête qui manifeste clairement son humanité. Pour le reste des personnages c'est une évidence aussi. Les acteurs sont grandioses, mais réellement ! Et l'on observe même, tant l'amour pour le personnage est grand, une évolution de celui ci, un réelle développement du personnage qui a une liberté d'expression. A la fin on remarque par la réplique "i believe you", que cet inspecteur qui posait tant de questions, qui ne croyait en rien ni personne et qui était parano, finit par faire confiance à la fin. Cette enquête l'a boulversé, changé; et cela c'est magnifique : qu'on ne s'interesse pas seulement au développement de l'intrigue ou de l'enquête mais aux personnages. Car c'est précisement seulement à eux que l'on devrait s'interesser.
Pour conclure c'est donc tous ces rapprochements et ce style (dans les plans, le silence, le développement des actions des personnages) qui font que l'on se sent pris dans le film et conquis.