Comme les immenses plateaux de l’Opéra de Paris, le ring surélevé aux dimensions plus modestes se transforme aussi en scène. Le rapprochement entre l’exercice de la danse et celui de la boxe va cependant au-delà d’une scénographie similaire. Si l’opposition entre raffinement et culture d’une part, rudesse et nature d’autre part, n’est absolument pas de circonstance, l’idée de l’apprentissage avec son corollaire de répétitions jusqu’à épuisement, de l’automatisation des gestes et des réflexes, qui passe aussi par l’acceptation de l’humiliation, du conseil ou de la remontrance, relie d’évidence le milieu ultra privilégié du corps de ballet parisien et celui plus prosaïque, mais pas moins légitime ni respectable, des boxeurs amateurs texans. Et Frederick Wiseman filme avec le même soin et une attention identique mêlée d’empathie les uns et les autres, soudain reliés par la discipline de fer qu’ils veulent bien accepter pour apprendre et maîtriser leur pratique. A Austin, on assiste aussi à une chorégraphie des corps sans cesse en mouvement, n’interrompant jamais le sautillement nerveux et trépidant pour mieux déstabiliser, esquiver ou toucher l’adversaire. Il y a autant de grâce, ou en tout cas le documentariste sait la capter, à voir un boxeur dérouler ses bandes protectrices qu’à observer un danseur enfiler ses chaussons.
Dans la salle fourmillante, devenue une tribune d’échanges et de confessions, à l’ambiance paisible qui aplanit toutes les différences, ce n’est pas uniquement la pratique d’un sport et ses cérémonials exigeants à laquelle nous assistons. Entre les murs tapissés d’affiches de champions et de galas, c’est aussi la vie extérieure qui entre en permanence, une vue parcellaire et néanmoins réelle du monde qui les cernent, dont ils constituent un rempart bienveillant. Plus court que la plupart des autres films de Frederick Wiseman, Boxing Gym reflète la persévérance de son auteur à croire aux vertus de la répétition et de l’exploration totale et minutieuse d’un endroit. Il est également l’illustration évidente et ô combien indispensable de l’exemplarité du travail intègre et constant du réalisateur.