La première chanson du Staff Benda Bilili que l'on entend proclame : "Un homme n'est jamais fini, il n'est jamais trop tard". A l'image des paroles de la plupart de leurs compositions, il s'agit d'une véritable profession de foi pour ces musiciens qui vivent dans la rue avec femmes et enfants, parfois hébergés dans un centre d'aide aux très nombreux handicapés, la plupart ayant été victimes de la polio. Le leader du Staff, Ricky, "le vieux des gosses de la rue" ou le"Président", se fait d'ailleurs pédagogue quand il demande en chanson aux mères de vacciner leurs gamins.
Cette vitalité se manifeste y compris dans les coups durs, comme le montre la réaction de Ricky devant l'incendie du centre d'aide qui signifie pourtant le retour à la rue et la suspension de l'enregistrement : "Ca arrive, c'est la vie". Mais cette apparente résignation n'est pas que du fatalisme, c'est aussi la manifestation de la confiance dans ce qui est pour tous une qualité que souligne l'un des musiciens : "Nous autres Congolais, on a le sens de l'entraide." Ainsi, quand Ricky touche un premier cachet de 800 $ pour un concert au centre culturel français, il donne sa part à Roger en lui ordonnant de l'utiliser immédiatement pour faire sortir sa mère de l'hôpital.
Roger est une des figures marquantes du film. Découvert à 13 ans par les réalisateurs qui s'empressent de le présenter au Staff, il tire, le visage perpétuellement grave, des sons incroyables avec son instrument monocorde construit avec une boîte de laît, et que les gosses du quartier désigent comme"le truc qui fait diling diling". Quand il se retrouve dans la tournée en Europe, il porte à 18 ans sur ses épaules à la fois les espoirs de sa mère et de sa soeur de laver la honte de l'échec qui pèse sur la famille, et les espérances de Ricky de le voir prendre un jour sa relève à la tête du Staff.
Le film parle de cette formidable énergie qui se dégage de ce groupe d'accidentés de la vie, mais aussi de la fascination de l'Europe, visible à la fierté et à l'émotion des musiciens quand ils s'apprêtent à embarquer pour la tournée en France, en Allemagne et en Scandinavie. Un gamin explique doctement à une autre "Dieu a créé l'Europe pour qu'on puisse comparer avec nous". mais la fascination n'exclut pas la lucidité et l'humour : quand un des musiciens s'exclame en reagrdant la campagne autour de Belfort : "Regarde comme leurs poulets sont gros", un autre rétorque "Les maigres, ils nous les vendent !"
Comme beaucoup, je ne peux qu'évoquer "Buena Vista Social Club", par rapport à la similitude de destins entre ces musiciens cubains et Zaïrois oubliés ou ignorés de tous, et qui par la grâce d'une rencontre vont connaître la gloire en Europe. Je cite aussi " I Feel Good!", comme chronique de la vie d'un groupe, des répétitions au spectacle. Mais la comparaison avec ce dernier film est en défaveur du documentaire de Renaud Barret et Florent de la Tullaye ; il y a un vrai problème de positionnement des réalisateurs, à la fois témoins et acteurs, puisqu'ils produisent le disque. On ne les voit d'ailleurs pas, ce qui les oblige à déroger à leur principe de laisser la parole aux images, puisqu'ils doivent justifier telle ou telle ellipse par une voix off ou un intertitre.
Cette discrétion, ce retrait devant les musiciens laisse parfois un sentiment d'inachevé, comme cette brève scène où Ricky ordonne à ses gamins de tabasser un autre handicapé pour le punir de l'avoir volé. Même si on garde essentiellement du film la découverte d'un groupe extrêmement attachant, à la musique faite de rumba congolaise, de blues, de funk et de soul, "Benda Bilili" laisse en suspens un certain nombre de questions, notamment sur les effets à venir de ce soudain succès.
Critiques Clunysiennes
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