Il existe une cohorte dont les rangs grossissent chaque jour, sinon haineuse, du moins la bave aux lèvres. Cette horde ne cherche qu'une seule chose : prouver au monde que « c'était mieux avant ». Ils sont présents partout (en politique, en économie, en philosophie, avec notamment des penseurs comme Joseph de Maistre) mais ceux dont il sera question sont les « cinéconservateurs ». Pour eux, il existe un diable, un démiurge, un hadès, un seth : il s'agit de (que Stanley Kubrick me protège) des EFFETS NUMÉRIQUES ! Mal absolu, il rongerait le cinéma et seuls quelque élus, une milice sacrée, nous en protégerait.
Qu'on ne voit pas dans ma critique un « manifeste du parti numérique ». Les causes du mécontentement de ces personnages sont louables : je suis le premier à me plaindre de certains effets numériques mal fichus, des esthétiques pompées dans les mêmes films, du manque de créativité. Et si l'erreur des conservateurs est de vouloir conserver les bêtises du passé, celle des progressistes est d'en vouloir importer de nouvelles.
Je ne veux pas non plus me poser en moraliste dictant sa loi à des foules endoctrinées. Bien que je crois à la Vérité, je ne prétend pas la détenir, seulement la chercher.
Et si je peux me permettre un conseil, c'est d'aller voir (afin que tous soient réconciliés) Gravity. Ce film est une preuve que les effets numériques, bien utilisés, peuvent être géniaux ; que créativité ne s'oppose pas à modernité ; qu'ils seront toujours un bien, s'il y a un artiste aux commandes.
L'artiste en question se nomme Alfonso Cuaron. Ce mexicain, ami de Guillermo del Toro et de Robert Rodriguez, s'est un jour posé la question : Comment représenter l'Espace ? De quelle manière le peindre ?
Et sa réponse fut : je ne vais pas représenter l'espace à mes spectateurs, je vais les plonger au cœur d'icelui.
Et ce coup de génie, cet œuf de Colomb (car pour simple qu'était cette idée, encore fallait-il y penser) naquit Gravity. Un film qui vous plonge à l'intérieur de l'Espace, vous fait ressentir son vide abyssal, sa froideur, sa mort. Car cet espace est un lieu de mort, un cimetière en même temps qu'un champ de bataille. Pour les deux personnages principaux, le but est simple : survivre.
Et c'est là toute la beauté de ce film : dans un lieu où règne la mort, la vie va jaillir et vaincre. Dans une heure et demie, se trouve toute l'histoire de l'univers : la vie a jaillit de ce lieu de mort afin de remplir la Terre.
Et cela ne se fait pas sans lutte. Car l'espace attire. L'espace, ce n'est pas seulement cette foule de débris qui s'abat sur nos protagonistes ; c'est aussi une sorte de léthargie. Le mal, ce n'est pas forcément quelque un cataclysme horrible, c'est le plus souvent un non-être, une sorte de lassitude, que les anciens nommaient l'acédie. En témoigne ce moment où Stone décide d'arrêter de vivre.
Tout cela pour dire que Gravity, à mon sens, mérite son succès. Beaucoup l'ont comparé à 2001 : l'Odyssée de l'Espace, et on doit reconnaître qu'il y a une ambition comparable ; mais les deux thématiques vont dans deux directions opposées. Là où l'un des films vise une expérience au niveau du fond, l'autre cherche à impressionner visuellement avant tout. 2001 partait dans tous les sens pour expliquer la vie, l'univers... Gravity rappelle qu'une telle ambition peut aussi s'accomplir dans un film au scénario plus explicite.
Gravity est un incontournable à mon sens. Il n'est pas aussi bon qu'un Interstellar qui, à mon sens, le surpasse en termes de mise en scène et de réflexion, mais ce chef d'oeuvre de l'ami Cuaron n'en reste pas moins une bonne grosse baffe visuelle, narrative, et même, osons tout, philosophique.