Poussé par une envie de savoir ce qu'étaient de l'intérieur les centres de rétention, le réalisateur a décidé de mener sa propre investigation, accompagné pour cela d'un journaliste au Soir et d'un conseiller juridique à la Ligue des droits de l'homme. Il réussit à y pénétrer, ce qu'il jugeait nécessaire à son exigence d'objectivité et découvre une réalité qui le choque. Et cette phrase comme un manifeste : "Beaucoup de films ont montré ce que ces gens pouvaient endurer pour arriver ou pour rester chez nous. J’ai voulu montrer ce que NOUS leur faisons endurer pour qu’ils rentrent chez eux."
D'un sujet aussi proche de la réalité, Olivier Masset-Depasse aurait pu choisir de faire un documentaire, format en théorie plus adéquat. Mais il a souhaité tirer du cinéma une puissance émotionnelle et didactique plus forte et toucher ainsi par sa révolte un public plus large. Tout en construisant son récit sur un essentiel ancrage à la réalité : "La fiction permet de travailler plus en profondeur la subjectivité des personnages, de tendre plus vers l’Universel. (...). Pour ne pas être manichéen ou tomber dans le film de gauchiste, je le voulais documenté, réaliste : tout ce qu’on voit dans le film s’est passé au moins une fois dans la réalité. J’ai essayé de montrer que les gardiennes et certains policiers sont, eux aussi, victimes du système."
Alors que l'origine révoltée du projet lui a d'abord fait pencher vers un film à thèse, le réalisateur a pris soin de ne pas s'enfermer dans un manichèisme qui aurait desservi son propos, et a changé son fusil d'épaule. En faisant le portrait d'une mère séparée de son fils plutôt qu'une description trop univoque de ces centres, en plus d'offrir un fil narratif plus accessible, il présente au spectateur un sentiment qui lui est familier, l'amour maternel.
Le titre au masculin désigne un système dans son ensemble et non pas le personnage principal qui est une femme sans-papiers. Le réalisateur observe d'un oeil amer et critique les conditions "d'accueil" des réfugiés dont il a fait le thème de son film. "Ce sont ces centres de rétention administrative qui sont illégaux dans nos pays, censés respecter les Droits de l’Homme. La grande majorité des sans-papiers détenus dans ces centres ont dû fuir la misère, la dictature, la guerre, etc. Et lorsqu’ils arrivent chez nous, après un voyage souvent éprouvant et dangereux, on les accueille en les mettant en prison. On les traite comme des criminels."
Son personnage étant de presque tous les plans, l'implication d'Anne Coesens à sa préparation a requis un travail au long cours. Elle explique l'avoir construit près de deux en amont du tournage, à l'aide de cahiers, séquences par séquences, pour se rendre familière du personnage et partager ses émotions."Je l’ai vécu comme une gestation, vivre avec l’histoire autant de temps avant le tournage m’a nourrie. Je n’ai pas eu l’impression de travailler." Une proximité d'autant plus exigente que le risque du pathos n'est jamais loin avec ce genre de rôle. Mais là encore la réponse sonne comme une évidence: "Tania ne peut être que dans la retenue, elle ne peut pas se permettre de se laisser aller, de lâcher la pression. Elle est au-delà du pathos, de la douleur. Pour elle, c’est une question de survie."
Un tiers des dialogues du film se déroule en russe, une langue que l'actrice ne parlait pas. Durant cinq mois, elle a pris des cours auprès de deux coaches qui l'ont également accompagnée pendant le tournage mais dans un délai restreint. Il s'agissait en fait plus de phonétique pour une bonne prononciation, que de réel bilinguisme. Le réalisateur confesse d'ailleurs que l'accent russe en Français s'est finalement "révélé beaucoup plus compliqué que le Russe en lui-même".
Le réalisateur retrouve Anne Coesens pour la quatrième fois, toujours avec un respect et une admiration sans faille: "C’est un Stradivarius. Quand tu as un tel instrument, tu n’en changes pas : tu joues avec et tu ne t’en lasses pas. (...) Je suis meilleur directeur d’acteur avec elle qu’avec les autres. Notre symbiose apporte beaucoup à mes films, à celui-ci en particulier", confie-t-il.