Voir Des Hommes d'influence aujourd'hui procure un sentiment de vertige incroyable. S'il fut imaginé et écrit en tant que satire par Larry Beinhart en 1993, son adaptation entre les mains de Barry Levinson a tôt fait de briser le quatrième mur. Le télescopage entre les évènements dépeints dans le film et le scandale bien réel (l'affaire Monica Lewinsky) survenu juste après est saisissant. L'effet est pourtant démultiplié quand on regarde l'image d'ensemble et sa pertinence quant à l'irruption du storytelling dans les allées du pouvoir. Inventer une guerre en manipulant l'opinion publique, une exagération ? Non seulement le procédé fut utilisé avant, lors de l'affaire des couveuses au Koweït en 1991, mais réemployé à de multiples reprises après. Bill Clinton lança plusieurs opérations militaires (au Kosovo par exemple) alors qu'il était au cœur du "Monicagate". Cinq ans plus tard, l'administration Bush déclenchait l'intervention en Irak en agitant l'épouvantail d'armes de destruction massive qui se révéra être chimérique. En 2011 enfin, l'implication de l'OTAN dans la guerre en Lybie reposera sur un amas de mensonges visant à accroître l'influence occidentale en Afrique du nord. Pardonnez cette digression, elle me parait néanmoins nécessaire pour nuancer l'aspect fantasmagorique prêté au long-métrage de Barry Levinson. Au contraire, le film mettant en vedette Robert De Niro et Dustin Hoffman offre une caisse de résonance aux écrits d'un Bernays ou d'un Chomsky, notamment quand ils accréditent la thèse d'un candidat ou d'un conflit traités comme de simples produits à vendre à des "clients". Entre ce film et les Guignols de l'Info, on peut dire que les rigolos étaient en avance sur leur temps.
Cynique, Des Hommes d'honneur l'est mais dans son sens originel, quand l'appellation renvoyait à une philosophie subversive mais morale (au IVème siècle avant J.C). En ce sens, les tribulations de cette bande de communicants sont autant la dénonciation que le reflet des pratiques douteuses menées en sous-main dans les cercles d'influence. "Le meilleur moyen de prédire le futur, c'est de l'inventer", professait le théoricien et consultant Peter Drucker. Une leçon qu'appliquent à la lettre nos trublions d'anti-héros dès le top départ. Tout est bon pour noyer le poisson, les stratagèmes inventés seront à la hauteur. Robert De Niro fait un parfait bonimenteur aux airs débonnaires. Mais au jeu du plus halluciné des baratineurs, Dustin Hoffman atteint le génie. Il faut le voir se lancer dans un plan marketing hors-norme sur un simple postulat d'une phrase. Cet esprit de chaos orchestré se ressent jusque dans l'organisation de l'intrigue, qui semble elle-même dictée par l'esprit dégénéré d'un conseiller après trois rails de cocaïne. Levinson a la bonne idée d'avoir fait tenir le tout en 90 minutes montre en main, ce qui donne des allures d'odyssée dingo à ce portrait au vitriol. Néanmoins, on peut noter de petites scories au montage, qui semble trimer pour s'accorder aux aventures échevelées. Rien de bien méchant, les dialogues et l'accumulation de scénettes dingues (mais loin d'être irréalistes) sont suffisamment drôles et énergiques pour remporter l'adhésion. Jusqu'à cette pirouette finale horriblement noire, que n'aurait pas renié le Don DeLillo de Libra, qui achève donner des airs prémonitoires au film. Quand la satire devient prophétie, il ne reste que le rire pour compenser l'effroi.