La mise en abyme, le film dans le film, l'émotion à la fois chaude et froide, sincère et fausse, c'est là où nous emmène Road to nowhere. À travers les yeux d'un réalisateur (Mitchell) sur le point de tourner son prochain film (tiré d'une histoire vraie entre complots et morts suspectes) nous sommes pris de la même fascination que lui envers l'actrice qu'il a choisi pour le rôle principal. Une actrice en devenir, Laurel, jusqu'alors inconnue, qui en arrivant sur le tournage va tout chambouler : remaniement du script, incompréhensions du casting et du scénariste, suspicions d'un conseiller. C'est toute la machine cinématographique qui s'emballe et s'enraye grâce ou à cause de sa présence.
Le fantasme de la femme devient la pièce maîtresse du film, des films en réalité, puisqu'elle joue le rôle d'une femme fatale, celui de Velma Duran. Entre scènes filmées et scènes réelles, entre faux-semblants et visages sincères, Monte Hellman entremêle sa caméra dans les passions, qu'on ne comprend jamais véritablement. Le mystère du récit, du montage lynchéen, des personnages troublants, rend au film un aspect qui en devient presque impalpable. Ce sont les rêves mêmes d'un homme, Mitchell, qui dictent les images, celle de son film et du Film, nous perdant avec lui dans les tréfonds de l'esprit.
Essayer de chercher une vérité absolue, une ligne directrice, un récit continu, est impossible ; et c'est, je l'espère, le souhait d'Hellman, de faire avec Road to nowhere un enchevêtrement de scènes brèves et discontinues qui rendent compte des émotions partagées, qui virevoltent dans les esprits des personnages, jusqu'à atteindre le point de non-retour. Il y a quelque chose dans l'admiration que voue Mitchell pour Laurel et vice versa qui nous fascine, qui nous trouble, malgré les nombreux défauts apparents de la réalisation. Que ce soit un montage hésitant, des réactions qui ont parfois l'air fausse, au point que même des acteurs qui sont excellents donnent l'impression d'être mauvais. L'intrigue n'est quant à elle finalement que peu développée, le cœur du film résidant vraiment dans les relations et les folies qu'elles entraînent.
Amateur de plans fixes, de longs silences, Hellman nous livre deux heures dont la douce poésie se dessine lentement ; et si c'est souvent une qualité, quelque fois le film manque peut-être de punch, comme si les personnages restaient dans un état d'apathie constant, ce qui en devient assez frustrant par moment, voir déstabilisant. Malgré tous les rictus durant le visionnage, les quelques séquences ratées (dont certaines importantes, comme la rencontre entre les deux personnages), l'ambiance sombre et troublée prend le pas sur le reste et il reste à la fin du film un curieux sentiment : une impression de gâchis mais aussi de génie. La vérité se situe entre les deux. Si le film nous prend à son jeu grâce à son atmosphère particulière, à ses fascinations complexes, il n'arrive pas à s'imposer comme une œuvre majeure, et ce malgré l'admiration sans précédent que je voue pour Shannyn Sossamon, qui a le même effet sur les personnages que sur les spectateurs. C'est donc un retour honorable pour Hellman, mais loin d'être fracassant.