Boum ! Telle l'invitée de dernière minute que l'on n'attendait pas forcément, Olivia Wilde défonce la porte et fait une entrée fracassante dans le monde des actrices devenues réalisatrices ! Avec un énième drame indé barbant pour prouver qu'il faut la prendre au sérieux à tout prix ? Ben non, la demoiselle est bien plus intelligente que ça et prend la plupart de ses collègues à contre-pied en signant ce qui est tout simplement le meilleur teen buddy movie depuis "Supergrave" ! Ouais, rien que ça, les enfants !
La filiation avec le film de Greg Mottola est évidente : même histoire d'amitié lycéenne en fin de cycle, même tracé scénaristique (une nuit déjantée pour rejoindre ce qui pourrait être la soirée d'une vie), mêmes doutes des héroïnes face à l'avenir ou encore mêmes peurs de ne pas avoir su profiter de cette période charnière d'une existence... Sur le papier, tous les ingrédients sont là pour ne faire que de "Booksmart" un vague pendant féminin à "Supergrave". Pourtant, croyez-le ou non, le premier long-métrage d'Olivia Wilde va dépasser son illustre modèle sur bien des points et risque même de rester encore plus dans les mémoires par sa qualité !
Si, dans le film de Greg Mottola, tout était conçu avant tout pour favoriser les gags avec en filigrane une volonté d'exarcerber la force de l'amitié d'une époque, le regard d'Olivia Wilde sur le lien entre ses deux héroïnes et ce qu'elles vont vivre au cours de leur "dernière" nuit va se montrer bien plus subtil en s'accompagnant toujours de sous-textes doux-amers sur leur évolution.
Dès le départ, Amy et Molly réalisent qu'elles sont passées à côté de quelque chose d'essentiel durant leurs années de lycée : elles ont beau avoir privilégier les études et leur avenir avec réussite, leurs camarades dont elles riaient des stéréotypes sont également parvenus aux mêmes fins tout en s'amusant pleinement. La prise de conscience d'avoir raté leur passage au lycée sur bon nombre d'aspects va donc les amener à vouloir totalement se lâcher avant leurs inévitables adieux et, par la même occasion, prouver qu'elles étaient aussi cools que leurs amis.
Avec ce postulat, "Booksmart" part sur un faux-semblant très astucieux prenant d'abord la forme d'une critique d'un système scolaire qui ne privilégierait plus seulement la réussite, la colère que cela provoque chez Molly est là pour la traduire (Olivia Wilde prolongera d'ailleurs plus tard et légèrement son discours sur la faillite de l'éducation US avec le personnage du principal et son autre "activité"), mais, en réalité, tout cela va peu à peu muter en questionnements sur le regard que l'on porte trop souvent précipitamment sur les autres et l'ancrage de ces préjugés, le véritable coeur thématique du film au-delà d'une belle histoire d'amitié.
Amy et Molly veulent prouver qu'elles étaient aussi funs que leurs camarades, très bien, mais, avant cela, elles vont d'abord effectuer un travail introspectif sur elles-mêmes pour leur faire ouvrir les yeux ! Ainsi, toutes les escales avant la fête tant convoitée vont mettre en lumière de manière exagérée une part d'elles-mêmes et traduire leurs doutes ou failles (la peur de la solitude, du rejet par la différence, de rater l'essentiel, etc). À leur contact, les carapaces de la plupart des personnages qu'Olivia Wilde nous avait présentés comme des caricatures et qu'Amy et Molly ont toujours vu ainsi vont sans cesse se fissurer pour laisser échapper une profondeur bien plus sombre et tristes propres aux états d'âme de cet âge. Même lorsque le film empruntera des passages plus obligés (notamment dans la dernière partie) afin de retranscrire les rêves et déceptions de l'adolescence, la caméra d'Olivia Wilde paraîtra mettre ces instants en pause comme pour mieux en tirer une force et une importance que ce genre de cinéma utilise trop souvent comme des poncifs scénaristiques. Ce ne sera pas toujours parfait, soyons honnêtes (le passage du "trip" apparaîtra par exemple un peu artificiel sur la forme mais, cela dit, loin d'être bête sur le message de perception d'idéal qu'ont les héroïnes d'elles-mêmes), toutefois, la jeune réalisatrice parviendra à en tirer une forme de grâce étonnante et forcément rafraîchissante comparé au tout-venant habituel (les instants d'émancipation d'Amy durant la "vraie" fête sont des petites merveilles à elles toutes seules).
Enfin, là où on aurait pu avoir quelques à priori sur le côté féministe et queer (Amy est lesbienne) que le cinéma US pousse parfois à l'excès sans véritable but ces dernières années, Olivia Wilde balaiera très vite nos doutes encore une fois par la finesse de sa vision. Traités à pied d'égalité avec toutes les autres interrogations de cet âge (et surtout avec la plus grand normalité, que ça fait du bien !), ces thèmes ne seront que des composantes participant pleinement à l'universalisme du discours du film grâce à l'absence de regards appuyés et excessifs autour.
Oups, vu l'intelligence rare de "Booksmart", on avait presque oublier une donnée primordiale : le film est méchamment drôle ! Il n'a d'ailleurs rien à envier non plus à "Supergrave" sur ce plan (oserait-on dire qu'il le dépasse aussi en termes de comédie ?... Pas loin en tout cas). Les dialogues terriblement percutants, la variété de personnages borderlines (une ola pour Gigi et le livreur !!) ou les situations hilarantes qui s'enchaînent sur un rythme sans failles font également de "Booksmart" un petit bijou de pure comédie où seul un cancrelas dépressif ne pourrait lâcher quelques sourires.
Et puis, comment ne pas finir par "elles", Amy et Molly, campées si brillamment par Kaitlyn Dever et Beanie Feldstein ? Leurs petits délires ensemble, ce naturel si communicatif qui émane de leur relation, les pics émotionnels qu'elles nous font gravir, leurs regards acerbes sur ceux qui les entourent... Et cette irrésistible dynamique de leur amitié fusionnelle, punaise ! La justesse de ce seul élément pourrait déjà élever "Booksmart" au rang de petit classique du genre. Comme Olivia Wilde a réussi en plus tout le reste, on vous laisse imaginer à quel sommet du teen buddy movie le film se situe. Nous, on n'avait pas vu ça depuis très longtemps en tout cas...
N.B.: Le film est sorti sur Netflix en France en même temps que sa sortie cinéma US. Ce n'est pas plus mal car il n'aurait eu aucune chance de survie dans les salles françaises et aurait fini en DTV dans l'anonymat. Tout ça pour dire ce n'est en aucun cas une production Netflix, ça se voit suffisamment niveau qualité, je pense.