Play a song for me est le premier long métrage de Esmir Filho. Ce réalisateur originaire de Sao Paulo, au Brésil, n'a que 26 ans au moment où son premier long sort en salle. Après avoir obtenu le diplôme de la FAAP, une école de cinéma brésilienne, il tourne plusieurs courts-métrages qui font le tour de festivals. Ainsi Alguma Coisa Assim obtient le prix du meilleur scénario à la Semaine de la Critique à Cannes et le prix du meilleur film au festival de Biarritz en 2006. Son film suivant, Saliva, est en lice en 2009 pour l'Oscar du meilleur court-métrage, des distinctions qui lui ouvrent grand les portes du long.
Play a Song For Me s'inspire d'un livre d'Ismael Caneppele, un auteur brésilien "Os Famosos E Os Duendes Da Morte" qui est d'ailleurs aussi le titre original du film. "Je me suis reconnu dans l'histoire de ce jeune homme qui étouffe dans cette petite ville, et qui utilise Internet comme une fenêtre sur le monde, raconte le réalisateur Esmir Filho, lorsque j'ai appelé Ismael pour m'aider dans l'écriture du scénario, il s'est replongé dans son univers et s'est mis à écrire encore et encore. Je lui ai demandé de jouer Julian, le type étrange qui revient en ville. Je voulais qu'il retourne dans sa ville. Il fallait qu'il joue dans le film et qu'il donne vie à ce garçon qu'il avait imaginé.. Son expérience sur le tournage l'a conduit à réécrire le livre, tandis que ses mots m'ont permis de visualiser la mosaïque de sentiments du film". Ainsi le film tiré du roman en a lui-même inspiré un nouveau !
Bob Dylan est un personnage à part entière du film. Esmir Filho s'explique sur le choix du chanteur comme icône du personnage principal : "La musique de Bob Dylan est atemporelle. Il incarne le symbole du changement pour toutes les générations. (...) Dylan incarne le présent pour ce jeune homme, comme il a incarné le présent pour la jeunesse des années 60. Car Internet a la capacité de faire revivre le passé. Je pourrais dire que Play a song for me parle de la chanson "Mr Tambourine Man" car elle résume le film tout entier."
Loin de vouloir en faire une simple critique en règle, Esmir Filho s'explique sur la place d'internet dans son film : "Le vrai sujet se résume à la phrase que le protagoniste écrit sur son blog : "La proximité n'est pas quelque chose de physique." C'est ce que pensent les jeunes d'aujourd'hui car ils confondent la vie virtuelle et la réalité. Ils en oublient qu'il y a des choses qu'on peut toucher de la main. Le contact physique est important, comme les manifestations d'affection entre ceux qui s'aiment. (...) la jeune fille aimerait qu'on se souvienne d'elle à travers ces vidéos, comme s'il s'agissait d'un testament. Comme si, à sa mort, elle voulait incarner le souvenir d'un être qu'elle aime. Elle a donc choisi d'être éthérée, comme un rêve. Elle a choisi d'exister sous forme de pixels !"
La présence de la mort plane pendant tout le film, comme inéluctable. Esmir Filhos'explique : "c'est la seule chose dont nous sommes sûrs. Un jour, nous allons quitter ce monde. Du coup, comment faire pour être immortel ? La mort du père se manifeste à travers les espaces vides de la maison. La mort de la jeune fille se manifeste à travers son omniprésence virtuelle. La femme qui se jette du pont cherche à fuir son existence et sa souffrance. L'obsession de la mort est peut-être liée à cette région froide du sud du Brésil, là où Ismael Caneppele est né. C'est lié à son lieu de naissance, à sa vie, à ses ancêtres allemands. Le livre est truffé de références à la mort. Et le film pose la question de savoir si la mort est la seule issue. Allez, traversons ce pont. Il y a toujours une nouvelle vie qui nous attend. C'est plus important de se poser la question que de chercher une réponse. "La réponse flotte au vent," comme le chante Dylan."
Les choix formels du film répondent au désir du réalisateur de matérialiser la solitude des personnages : "J'ai choisi de tourner en Scope parce qu'il permet d'isoler plus encore un personnage seul dans le plan. Je voulais exprimer la solitude qu'il ressent. Car c'est sans doute le sentiment le plus terrifiant pour un adolescent. Certes, on est entouré de ses amis, de sa famille et de ses collègues. Mais en réalité, on est très seul, notamment quand on prend une décision et qu'on fait des choix de vie. (...) c'est effrayant de constater qu'on est responsable de tout ce qui se passe dans sa vie, et cela ne tient qu'à soi de franchir le pont qui vous amène de l'enfance à l'âge adulte."
Le film présente de nombreux passages oniriques. Une difficulté pour Esmir Filho qui a dû concevoir un moyen de montrer les rêves et cauchemars du personnage : "j'ai joué avec des images sensorielles et sonores, qui jouent un rôle important dans le film. Par exemple, cela ne m'intéresse pas de placer une caméra au-dessus d'un manège et d'en observer les effets. Ce qui m'importe, c'est de montrer à quel point il est insupportable de se sentir exclu de ceux qui font la fête, surtout quand le monde semble avancer sans vous."
Le jeune Esmir Filho s'inscrit dans un certain cinéma mystique et contemplatif et a de nombreuses références en tête, cinématographiques ou non : "Quand je tourne, je le fais avec mon coeur et mon film est marqué par les oeuvres qui ont traversé ma vie et par les sentiments que j'ai besoin d'exprimer. (...) il y a des réalisateurs que j'admire comme Bergman, Kieslowski, Fellini, Antonioni, Rohmer, Jodorowsky, Van Sant, Ozon, Salles, Martel et d'autres encore. Et puis, il y a de plus jeunes metteurs en scène dont je me sens très proche, comme Alexis Dos Santos, Antonio Campos, Jesper Ganslandt. Quant aux écrivains, j'aime le réalisme poétique d'un Gabriel Garcia Marquez. Mais Nietzsche, Barthes, Foucault et Deleuze sont les grands philosophes qui m'influencent."
Dans Play a Song For Me, le jeu avec la lumière a une véritable importance, elle est ce par quoi se différencie le concret de l'immatériel : "La lumière incarne ce que nous savons, ce que nous comprenons, ce que nous percevons facilement – c'est un terrain connu. A l'inverse, l'ombre dissimule notre monde secret, nos questionnements et nos démons intérieurs. Nous devons nous interroger sur notre monde intérieur, nous devons même éteindre les lumières d'une ville tout entière s'il le faut, afin de permettre aux autres de jeter un regard au plus profond de nous-mêmes et de mieux nous comprendre."
Le travail du son est ce que préfère Esmir Filho, le réalisateur de Play a Song For Me : "Je crois que le son agit sur notre inconscient, puisque on ne ferme jamais les oreilles de même qu'on ferme parfois les yeux. Je réfléchis beaucoup au son, même au moment de l'écriture du scénario. J'écris les sons, ce qui est sans doute paradoxal. Au moment du montage, je laisse de la "place" au son car je pense que le son est aussi un phénomène physique et qu'il a besoin d'espace pour exister au sein du film. Comme le film s'interroge sur la vie consciente et inconsciente du protagoniste, le son joue un rôle important, surtout lorsqu'il se superpose à une image. Cette "superposition" ne peut pas être prise au pied de la lettre : elle doit projeter le spectateur à un autre niveau de compréhension, pour qu'on puisse ressentir l'image, et ne pas seulement la comprendre de manière rationnelle. C'est pour cela que j'appelle ce film un "film-émotion."
Les acteurs du films sont tous des non-professionnels. Ils viennent de la région où se passe l'histoire et d'où vient le scénariste Ismael Caneppele. C'est aussi dans cette région du sud du Brésil que le film a été tourné. Elle a pour particularité d'être germanophone. Esmir Filho a été heureux de pouvoir travailler avec des acteurs inexpérimentés : "J'avais besoin de vérité. J'ai donc d'abord jeté un oeil à leurs pages perso sur Internet parce que je voulais connaître leur vie virtuelle et la part d'eux-mêmes qu'ils voulaient partager avec le reste du monde. C'est ainsi que je suis tombé sur Tuane Eggers (...) C'est elle qui a signé toutes les images et les vidéos qu'on voit dans le film. Grâce à elles, on comprend ce que c'est que d'être un ado aujourd'hui. J'ai emprunté sa vie virtuelle au personnage de "Jingle Jangle." J'ai aussi trouvé l'acteur principal, Henrique Larré, grâce au web. Ismael Caneppele campe également un rôle. Et Samuel Reginatto est originaire de la petite ville, et il s'y plaît bien. (...) C'était important pour moi de montrer la réalité de cette ville germanophone, froide, aux confins d'un pays tropical comme le Brésil."
Le titre du film Play a Song For Me est tiré de la chanson de Bob Dylan "Mr. Tambourine Man" (le personnage principal se fait appeler ainsi). La chanson commence ainsi : "Hey, Mr. Tambourine Man, Play A Song For Me...". "Jingle Jangle", comme se fait appeler la fille, est une autre référence à la chanson.