Toute l'ampleur de la guerre froide dans un seul film, c'est ce que promettait d'être La Taupe. L'atmosphère pesante, l'ambiance poussiéreuse, la paranoïa ambulante ; tout était réunis pour faire du film un jeu de pistes asphyxiant où le moindre faux pas s'avère fatal. Et de ce côté là, le film a tenu ses promesses. Pourtant, aussi ficelé soit le scénario, aussi intelligente soit l'histoire, le film garde du début à la fin cette façade glaciale, qui est certes liée à son sujet mais qui donne peu de place à l'émotion. C'est dommage car avec un Gary Oldman au top de sa forme et un Tom Hardy surprenant, il y avait de quoi transmettre autre chose qu'une simple « bonne histoire ».
La Taupe c'est donc avant tout l'histoire d'une grande famille attablée autour d'un repas de noël – qui tourne mal, bien entendu –. Cette famille, c'est celle des services secrets anglais, qui, géopolitiquement parlant, sont au cœur d'une guerre froide plus tendue que jamais. Au lendemain de la retraite du père de famille – Control – des soupçons évoquant une taupe au sein des plus hautes sphères de l'organisation sont murmurés. George Smiley, parti avec son mentor, se voit confié la lourde tâche de débusquer cette taupe, mais aussi de comprendre son rôle et ses conséquences. S'ensuit alors la mission la plus périlleuse de sa carrière (pourtant déjà terminée) : Espionner sa propre famille ; chercher le mauvais cousin, le traître, celui qui serait prêt à baiser votre autre cousine pour quelques dollars de plus.
Le film dévoile donc sous nos yeux son ensemble de personnages, de flash-back, de pistes qui se forment, s'effacent, s'imbriquent dans d'autres pistes et on va d'une maison à une autre, d'un personnage à un autre, comme un lecteur qui lirait les pages d'un manuscrit jusqu'à avoir le fin mot de l'histoire. Le rythme est certes posé, l'intérêt résidant surtout dans les mots et les souvenirs, pour distinguer le vrai du faux, mais il n'en reste pas moins haletant. Si l'histoire prend son temps, c'est parce qu'elle possède une consistance qui lui permet de prendre son temps et de rendre le tout plus épique.
Les enjeux sont primordiaux : c'est l'avenir de la guerre froide qui se décide. La tension est palpable, et l'œil suspicieux avec lequel chacun des personnages se regardent est excellent. Certaines scènes sont des bijoux en terme d'asphyxie audiovisuelle (notamment celle dans le café Hongrois, qui m'a vaguement rappelé la séquence d'ouverture d'Inglourious Basterds : on joue sur le même terrain). D'autres sont peut-être plus anecdotiques, plus lourdes, moins passionnantes, mais globalement c'est un régal que d'apprendre le passé de ces hommes, de comprendre où on en est et comment on en est arrivé là.
Là où le film se rate c'est dans son approche plus intimiste. Tout ce qui touche à l'intrigue principale est réussi, mais dès qu'on entre dans les intrigues secondaires – aussi intéressantes soient-elles – il manque quelque chose, quelque chose d'important, voir même d'essentiel : l'empathie. Le fantasme des femmes « perdues » qui se dessine avec Tom Hardy et Gary Oldman aurait pu être encore beaucoup plus touchant. On arrive à atteindre le sublime par petites touches, sur certains plans géniaux (celui du regard à travers la vitre ou de la voiture sur le port) mais en fin de compte il manque une saveur à ces histoires. Et avec certains objets (comme le briquet) il y a même parfois une impression de superficialité qui vient se greffer (certes pas trop encombrante).
Du coup, si je reconnais volontiers à La Taupe toutes ses qualités narratives, son rythme efficace et son ambiance pesante (dans le bon sens du terme), j'ai eu plus de mal à me sentir concerné par les personnages en tant qu'hommes et non qu'agents. Le seul qui joue sur les deux facettes avec brio étant Jim Prideaux (puisque la première est beaucoup plus visible que la seconde). Mais malgré tout il faut rester honnête et ne pas être trop sévère avec un film qui, dans son registre, est une véritable aubaine. Grossièrement c'est comme une bonne partie d'échecs ou un bon cours de maths, on s'amuse bien mais on en ressort avec les pensées un peu brumeuses et un cœur de pierre.