Nadine Nortier offre à Mouchette des sourires rares et magnifiques, dans l’éphémère moment de bonheur à l’adresse d’un garçon, lors d’un tour d’auto-tamponneuses. Le père lui retournera une baffe, histoire de lui rappeler que le rire est réservé aux hommes. Car dans Mouchette les femmes n’ont pas même de quoi sourire. Dès le premier plan, la mère annonce la couleur : que vont devenir ses enfants sans elle, car elle va mourir. Le père, ivrogne bas de plafond, qui s’exclu de la souffrance létale de sa femme, témoigne à sa fille une indifférence uniquement interrompue par remontrances et brimades, vengeance de sa lâcheté devant la maladie et de la médiocre condition sociale dans laquelle il laisse croupir sa famille. Tout le village est au courant, épiant la chronique d’une mort annoncée. Car Mouchette ne se laisse pas emporter dans le misérabilisme. Pleine de bonté, mais pauvre, donc rejetée, méprisée, moquée, elle subit en s’enfermant dans une bouderie économe de mots. Elle assume tout, la mère, le bébé, le petit déjeuner, les courses, le père et même Arsène le braconnier.
Du moins le croyait elle
, jusqu’à ce qu’il la viole. Jamais Bresson n’a filmé aussi juste, aussi sensible aussi émotionnellement fort. La chasse, hommage à Jean Renoir, est tout aussi symbolique, tout aussi puissante, ouvrant sur un un final qui est un immense moment de cinéma. Seize ans après « Journal d’un curé de campagne », le cinéaste s’attaque à une autre œuvre de Bernanos. Encore une fois, il transpose à l’écran la force et la délicatesse du roman. Certes, avec son style, dépouillé jusqu’à l’austérité, qui lui est propre, mais qui a l’avantage d’aller à l’essentiel, sans scories, affaiblissement ou prostitution. La force de la réalisation de « Mouchette » est indiscutable et, pour une fois, les acteurs jouent justes à commencer par Nadine Nortier tout simplement extraordinaire dans le rôle titre. Il est clair que je n’aime pas Bresson, son arrogance vis à vis de son art et son mépris des acteurs. Mais dans ce film le réalisateur se hisse au niveau de « Panique », aussi noir et désespéré, mais sans la haine, car il n’est paradoxalement pas misanthrope, contrairement à Duvivier. Pour être complet, le choix musical et la bande son très travaillée, contribuent à la réussite de ce très grand film.