La carrière de réalisateur de Paul Schrader est largement éclipsée par son brillant parcours de scénariste aux côtés de Martin Scorsese pour lequel il a écrit les mythiques "Taxi Driver" (1976) et "Raging Bull" (1980). Riche de 21 longs métrages, elle est désormais assez conséquente pour attribuer à celui-ci la qualité pleine et entière de réalisateur. Très hétéroclite et souvent radical dans ses goûts et préoccupations, Paul Schrader peut donner l'impression de se disperser à force de brouiller les pistes entre films à forte dimension psycho-sociale ("Blue Collar", "Hardcore", "Afflication") et films référentiels à l'esthétisme pompier ("American Gigolo", "La féline", "The canyons"). "Afflication" qui traite des ravages de la violence paternelle à partir d'un roman éponyme de Russel Banks paru en 1989 est sans aucun doute le plus sombre de sa filmographie. Aussitôt lu le livre, celui-ci résonne dans l'esprit de Schrader dont le père sans être aussi violent que celui décrit par Russel Banks (le livre est en partie autobiographique) a fait preuve d'une autorité qui a laissé des traces chez l'adulte tourmenté qu'est devenu le scénariste/réalisateur. Dans une petite bourgade du New-Hampshire (Paul Schrader est natif du Michigan) enfouie sous la neige, Wade Whitehouse (Nick Nolte), enfant du pays et policier communal, concilie avec le plus grand mal sa vie professionnelle erratique avec une vie privée qui part à vau-l'eau depuis que sa femme (Mary Beth Hurt) l'a quitté, emmenant avec elle sa fille Jill. Le contexte déprimant dans lequel évolue Wade Whitehouse est présenté sans fard en préambule par Paul Schrader qui utilise au mieux la très lourde et pesante présence de Nick Nolte auquel il avait immédiatement pensé en écrivant le scénario cinq ans plus tôt. L'enquête qui se présente à lui concernant un pseudo accident de chasse mortel, provoqué par son collègue et meilleur ami Jim (True-Frost) ne va pas contribuer à clarifier la situation personnelle de Wade qui s'enlise dans l'obsession névrotique d'un procès contre son ex-épouse pour récupérer l'éducation de sa fille qui le fuit. L'affection sincère et dévouée de Margie Fogg (Sissy Spacek) sa nouvelle compagne n'aidera pas beaucoup plus Wade dans sa quête désespérée de normalité. En réalité plane au-dessus de Wade l'image d'un père violent et alcoolique (James Coburn) qui le ramène en permanence aux comportements subis et appris dans son enfance. Tournant sur lui-même tel un lion en cage, il est prisonnier d'un passé qu'il n'a pu surmonter. A travers Rolfe (Willem Dafoe) le frère cadet de Wade qui s'est rapidement éloigné pour s'ouvrir un horizon différent, Paul Schrader s'interroge sur les mystères de l'influence parentale dont les effets peuvent être antagonistes selon les éléments de la fratrie. La place de l'aîné semble la plus problématique. L'intrigue policière devenue accessoire, le réalisateur ne quitte plus la lourde carcasse et le regard embrumé de Nick Nolte qui avance doucement vers la seule issue qui s'offre à lui pour s'arracher à ce qui ressemble à une malédiction. Refusant tous les effets de style un peu faciles auxquels il recourt quelquefois, Schrader en parfaite symbiose avec ses acteurs, dépeint la face sombre trop souvent occultée des rapports névrotiques au sein de la famille, éternel étendard de l'idéal américain. Un film d'une noirceur absolue où Nick Nolte s'affirme comme l’un des plus grands talents de sa génération, qu'il convient de classer juste à côté du somptueux "Blue collar" et du déchirant "Hardcore".