Je poursuis ma plongée jusque-là plutôt appréciable dans le Nouvel Hollywood avec ce drame de Lumet, inspiré d'une histoire vraie qui avait il faut dire tout pour s'insérer dans ce mouvement majeur de l'histoire du cinéma américain. Son personnage principal
à la fois père de famille, homosexuel, vétéran de guerre, ancien taulard et fils mal aimé,
est en quelque sorte déchiré de toutes parts, être informe né des derniers râles des différents visages d'une amérique qui a perdu toute unité. Sous l'égide impotente de figures tutélaires fragiles (l'asthme du gardien, le diabète du patron, le rejet du père, la maladresse d'un flic incapable de cerner la situation) Pacino dresse malgré lui le portrait d'une génération incapable de prendre le relais et de s'assumer, non seulement parce qu'elle ne sait pas ce qu'on attend d'elle mais parce qu'elle ne sait plus qui elle est. Perdue et désolée dans une société ou le spectacle a primé sur tout sens de communauté ou sur tout désir de vérité humaine et d'une vie menée avec à-propos (même la mère, bien qu'aimante, se donne en spectacle), cette génération n'attend plus que la mort ("I'm dying here", répète sans cesse le personnage), qui viendra la cueillir dans une spirale tragi-comique. Tragique, parce qu'on ne doute pas bien longtemps du sort des deux braqueurs, que tout le mouvement du film humanise comme à rebours, comme comprenant trop tard les enjeux définitifs et viscéraux de la situation pourtant déjà décidée. Comique malgré elle, parce que Pacino semble se précipiter droit vers sa fin, comme s'il pliait sous le poids d'une société dont il semble croire, quelque part, qu'elle n'attend plus que ça de lui. Dans tout ça, il reste quelques moments étonnants et même perturbants ; la romance homosexuelle amenée de façon abrupte par la narration, qui montre bien qu'on oublie de chercher l'amour où il est, où encore la complexification subreptice du personnage de Cazale, le temps d'une remarque sur des clopes, qui laisse aussi à penser qu'on n'avait rien compris de ces personnages un peu débiles mais sans doute très profonds. Bon, j'aurais quand même sans doute un peu à redire sur la durée de l'ensemble, sur quelques redites, même s'il est vrai qu'en allongeant son récit, Lumet donnait presque l'impression de tourner en temps réel, de plonger dans un cycle temporel complet que seule la mort pouvait achever, tout comme l'aube achève la nuit. Il faut aussi ajouter qu'en 1975, après 8 ans du Nouvel Hollywood, les thèmes brassés par toute une industrie en pleine auto-critique finissaient par tourner en rond, même si dire cela me rend un brin hypocrite, puisque The Deer Hunter (1978) demeure le film de la période qui m'a le plus marqué. À voir pour Pacino, dans tous les cas, sans doute dans son meilleur rôle.