Soucieux d’inscrire son cinéma dans la réalité et d’en saisir ce qu’elle peut avoir de fantastique – de la même manière qu’Honoré de Balzac recourait au fantastique dans Le Peau de Chagrin, par exemple, pour embrasser la réalité, contenant en elle-même le surnaturel –, Jean Epstein construit son adaptation de Poe comme une montée en effets : d’abord utilisé avec parcimonie, le langage cinématographique (ralentis, surimpressions, gros plans et autre mouvement de caméra) dont le cinéaste s’est rendu maître au cours de ses films précédents s’immisce peu à peu dans l’image, sortant toujours de la matière du réel. Les objets du quotidien servent d’intermédiaires au surnaturel : un tableau, une chaise posée là dans une pièce trop grande et balayée par les vents, une taverne ; tous ces éléments se chargent progressivement d’un mystère, de l’absente que l’on enterre et qui pourtant revient à la vie. On pourrait dire que La Chute de la Maison Usher suit une entrée en possession par le prisme du réalisme : la parole prédomine, comme souvent dans les premières œuvres d’Epstein, et sont rapportées, pour l’essentiel, via des intertitres. Notons d’ailleurs que Poe n’est présent ici que sous la forme de « motifs » : portrait du cinéaste en peintre capable de non seulement restituer le gothique de l’auteur, mais surtout de s’approprier son univers pour y rejouer ses thèmes de prédilection, à l’instar de la nature environnant les protagonistes et répétant, sur une échelle cosmique, la lutte que se livrent, dans le château, des énergies individuelles. La Chute de la Maison Usher impose au spectateur son identité esthétique novatrice et grave la rétine d’images aussi sublimes qu’inquiétantes. « En vérité, c’est la vie même ». Immense.