AVERTISSEMENT : j'ai fait le choix de ne pas spoiler ma critique qui est davantage un commentaire obligé par le contenu du film. Je vous saurai gré de respecter ce choix qui est voulu de mon point de vue explicatif. Je crains fort que, sans ce type de lecture, les critiques demeurent vides et sans chemin.
A scene at the sea n'est pas le meilleur Kitano mais il fut très distribué. Par contre, il complète la filmographie de l'auteur par son "ailleurs" et ses leurres de simplicité. Kitano/Beat Takeshi est un siamois dans son personnage, aussi bien que dans tous ses discours. Il ne cessera jamais de dédoubler sa vie comme ses films et c'est cela qui me fascine personnellement.
A scene at the sea est un film qui traite de la communication et des handicaps qui sont engendrés lorsqu'elle est dysfonctionnelle - ce qui suppose le traitement de la pauvreté, de la marginalité et à plus forte raison de la normalité sociale et de l'émancipation individuelle.
La question essentielle de l'apprentissage - simple chez la plupart d'entre nous - pose le véritable question de la transmission.
L'autre question est plus en rapport avec le prétexte choisi de cet apprentissage. Kitano choisit ici le surf.
Objet déconcertant et foutage de gueule éhonté pour le néophyte, le surf est un sport qui comporte des codes propres et son propre langage comme bon nombre de sport. Les portes sont ouvertes ou fermées.
Comme le personnage principal, Shigeru, est sourd et muet, il apprendra par lui-même le surf, passion soudaine qui se révélera pleine de chute, de désillusion, de blessures intérieures et d'humiliations habituelles. Il est pataud et ridicule sur sa planche comme il est mal aisé dans la vie, naïf par conditionnement, pigeon social, condamné au dénuement, à la limite de la préhistoire. On se moque de lui. Les autres dans le film, et nous qui regardons. Un malin plaisir équilibré dans ce film par ce jeu permanent entre l'indicible et le "tout est dit", un équilibre qui entre en collusion pour délivrer dialectiquement une poésie farouche, qu'on décèle au compte-goutte, plan par plan.
Cet apprentissage du surf n'est pas qu'une lubie de Kitano. Pas plus pour Shigeru. C'est - à ce que j'en sais timidement et au-delà de l'aspect sociologique - un rituel funèbre et un amour de l'eau en harmonie avec le corps, ce qui induit au sein du surf, un esprit non dénué d'érotisme. De cet érotisme, le film va en parler au travers de celle qui, sourde et muette aussi, s'est moquée de lui et de son amour avant de glisser pleine d'admiration et de compréhension. Elle s'appelle Takako. Elle a décidé de rester spectatrice, comme nous. Elle est secondaire, elle suit le courant de la vie comme de l'eau. Un fidèle soutien ? Je ne crois pas. Une commentatrice naturellement censurée ? Je le crois davantage. Une disciple ? Totalement ! Elle apprendra de l'apprentissage chaotique et misérable de Shigeru pour peut-être s'en inspiré au-delà du volet clos. Elle apprendra à développer, comme Shigeru, davantage d'effort et de volonté, à surmonter sa frustration de sa condition, inaliénable quoi qu'elle fasse. Le spectateur remarquera que le mouvement de la caméra aussi est frustrant et frustré puisque Kitano a choisi de ne bouger (tout aussi timidement que le reste) son plan qu'à la toute fin, comme une semi-libération. cette fixité est pour ma part l'expression d'une condamnation à la privation et à l'ignorance. Le spectateur doit aussi lui-même produire l'effort de comprendre ce que Shigeru fait sur une planche de surf qui coûte les yeux de la tête. Shigeru comprend assez bien que sa pauvreté n'est pour rien dans les difficultés de son apprentissage. La condition matérielle est l'un des problèmes le plus rapidement exclu, pour ne laisser place que Shigeru devant son apprentissage. Ainsi il ne pourra pas rejeter la faute sur planche ! Il ne laisse que l'essentiel, qu'une construction individuel, observé par un microcosme encourageant d'amateurs et qui lui prouve que ce Shigeru qui se mesure à d'autres n'est ni réellement handicapé ni adapté aux normes sociales. Un constat désolant sur lequel Kitano glisse une pirouette finale.
"Il est devenu poisson".
Nouvelle déconcertation.
De tout le film, j'ai trouvé que Kitano a eu ce don de ne pas susciter d'empathie pure et spécifique pour son énième "vaurien". J'y vois plutôt un spectacle empathique et rigoureux. J'apprécie particulièrement cette attention dans ce film, pour garder une objectivité toute discrète, surtout lorsque la finalité du film se révèle être davantage une fable sur l'accomplissement plutôt que sur le dépassement de soi-même.
Par contre, je conçois très bien que le spectateur qui n'a eu cet oeil analytique et qui n'a pas fait par conséquent ce cheminement curieux au travers de ce film restera une formalité désoeuvrée de l'oeuvre, une fable niaise perdant l'intensité de son propos initial, autrement dit...
il se fera poétiquement vite chié.