Attention spoilers ! Lost Highway est le film le plus sombre de David Lynch, le seul à mal finir. Des 7 autres films que j'ai vu de lui (je n'ai pas vu Twin Peaks et Dune), 4 offrent de purs happy-ends classiques (Blue Velvet, Sailor et Lula, Une histoire vraie et INLAND EMPIRE), 2 présentent la mort comme une douce libération (Elephant Man et Mulholland Drive) et 1 offre une porte de sortie par le spectacle (Eraserhead). Dans Lost Highway, aucune issue. L'homme est prisonnier de la réalité, et ses rêveries ne pourront l'y soustraire.
De ce fait, l'ouverture du film contient déjà sa fin. Le fameux "Dick Laurent is dead" bien sûr, mais pas que. Car tout est déjà là : l'homme est seul, amorphe, il n'a aucune complicité avec sa femme, et chacune de leurs discussions - laconiques - est ponctuée de silences angoissants. Ca n'est pas pour dire que ce film ne sert à rien, bien entendu, car après 40 premières minutes très inconfortables - le score de Badalamenti et les travellings au steadicam en grande partie responsables - tout change. Les personnages ne sont les plus les mêmes, la narration explose en morceaux et au spectateur de se demander s'il a pas loupé un épisode. Alors, totalement abscons Lost Highway ? Finalement pas tant que ça : c'est juste l'histoire d'un fou qui a tué sa femme et s'invite une vie mentale pour oublier son crime, mais il réapparaîtra, et l'homme finira sur la chaise électrique. La création mentale, on ne sait plus trop si elle vient du tueur ou du metteur en scène. Le génie fou Lynch déconstruit en effet le film noir - les mafias, pornos, blonde incendiaire et brune distante sont bien-là -, il devient labyrinthique, terrifiant, et côtoie l'expérimental. Le film impose son ambiance incomparable (mis à part avec les films suivant de Lynch), qui repose autant sur l'image que sur le son. Badalamenti a fait du beau travail bien sûr, mais tout ne vient pas de lui : les nombreuses chansons du film ("I'm deranged", "This magic moment", "I Put a Spell on You", Song to the Siren"... y en a un paquet), ainsi que les voix - remarquablement travaillées - participent pleinement de la singularité (et de la qualité) du film.
Mais tout n'est pas parfait dans Lost Highway - alors que tout le sera dans Mulholland Drive. Les dialogues ont été un peu oubliés dans l'affaire (symptôme typique du cinéma d'auteur sûr de son style et qui en oublie les bases), et les acteurs sont assez mauvais. Balthazar Getty et Bill Pullman n'ont pas eu une grande carrière et ça se comprend : ils sont transparents.
Le 7ème long-métrage de David Lynch, bien que très stimulant à bien des égards, semble avec le recul un beau brouillon pour le 9ème. Les points communs sont nombreux, en particulier au niveau de la structure narrative : à peu près 40 minutes de réalité infernale, puis 1h20 de paradis virtuel, et une fin qui ramène à la terrible réalité dans LH, cela en comparaison avec 1h45 de paradis onirique, 25 d'enfer réel, et une fin qui rétablit le "paradis" dans MD. Tous les petits vices de Lost Highway seront effacés dans Mulholland Drive, l'oeuvre de toute une carrière, avant le tournant radical d'INLAND EMPIRE.