Le souvenir de Samuel Fuller est indissociablement lié à un point rouge brillant dans l'aube à peine levée, grossissant au fur et à mesure que ma foulée de jogger s'en approche, comme un fanal qui se serait détaché de ceux, rougeoyants, marquant le chenal du port de Deauville-Trouville.
Au bout du point rouge, un cigare, au bout du cigare Samuel Fuller que je croise sur les Planches, sortant du Royal à l'heure où ses pairs du festival de Deauville rentrent se coucher.
Nous sommes un extra-terrestre l'un pour l'autre.
Lui, pour Hollywood en est une sorte, d'extra-terrestre.
Un type qui débute par le journalisme à sensation, poursuit par le reportage de guerre pour, devenu cinéaste, tourner souvent des choses incompatibles avec le puritanisme ambiant (Shock Corridor, The Naked Kiss).
Montré hier dans le cadre du ciné club Caro Ennio, porté par Lostfilms au Max Linder Panorama, White Dog ne contribuera guère à racheter Fuller, accusé de racisme à travers cette histoire de chien, recueilli, accidenté par une jeune femme qui découvre que c'est un chien d'attaque d'un genre spécial, un "chien blanc" dressé à attaquer les Noirs.
Convié par Marc Olry, le boss de Lostfilms, à parler du film, le réalisateur et scénariste Nicolas Saada revoyait White Dog pour la première fois depuis sa sortie, peinait dès la lumière revenue à trouver ses mots, tant la puissance évocatrice, la force de la mise en scène de Fuller étouffent encore, 40 ans plus tard, toute velléité critique à chaud.
"Ce film est un chef d'oeuvre total, dira-t-il, qui deviendrait si on le réalisait de nos jour un truc lourd et appuyé de deux heures avec un chien en images de synthèse, alors que là c'est un boulot de dingue, rendez-vous compte il a utilisé cinq chiens pour en montrer un seul."
White Dog est sorti en France le 7 juillet 1982, je l'avais vu le 9 au Publicis Elysées. J'avais coté trois étoiles ce "monument érigé contre le racisme, pamphlet dénonçant les conditionnements de toutes sortes mais aussi une merveilleuse histoire d'amour entre un chien et sa maîtresse."