Je vais faire tache, « La Pointe courte » d’Agnès Varda a été très douloureux à suivre.
Nous sommes en 1954, Agnès Varda, photographe de profession, s’autorise à vouloir faire un film. J’emploie le verbe à bon escient car d’après mes recherches, il n’était pas du tout évident qu’une jeune femme de 25 ans qui n’a pas étudié le cinéma et qui revendique ne rien connaître au 7ème art, en 1954, soit derrière une caméra pour réaliser un film.
C’est très courageux de sa part.
Malheureusement, je n’ai pas du tout mais vraiment pas du tout accroché.
Agnès Varda se fait tantôt guide touristique avec les deux jeunes mariés qui font de longues balades dans un Sète extérieur, balade dans une campagne du bord de mer aux côtes sauvages, où les chemins empruntés nous donnent à voir des filets de pêche qui sèchent.
Agnès Varda se fait tantôt reporter en s’attardant dans ce quartier de pêcheurs « La Pointe courte » où sa caméra s’invite dans les habitations garnies d’enfants, d’hommes, de femmes, de vieux et de chats !
Des pêcheurs préoccupés par des mesures d’hygiène, de sécurité et de règlements administratifs.
Cet aspect reporter est assez intéressant, je dois l’avouer. Le noir et blanc apporte une dimension documentaire d’époque.
Quant à la partie touristique menée par Philippe Noiret (l’Homme) et Sylvia Monfort (la Femme), deux jeunes acteurs de théâtre qui s’essaient pour la première fois à faire du cinéma, est extrêmement pénible voire douloureuse à l’oreille.
Certains plans de visages symétriquement de profil me renvoient à des postures de tragédies grecques.
Ce n’est pas le pire.
Ce sont des dialogues pompeusement cérébraux ! Pas littéraires, ce serait offenser la littérature, quoique…
Il y a des plumitifs persuadés de faire de la littérature, d’être héritiers des pères fondateurs.
En ce qui me concerne, des dialogues insupportables de prétention, de vide, de néant, qui se croient existentiels, c’est du parler pour ne rien dire et surtout ne rien faire !
Comme le dit si bien une femme à son mari, ami de l’homme (Philippe Noiret) : « Ils parlent trop pour être heureux ».
Ils sont mariés depuis quatre ans et la femme (Sylvia Monfort) est déjà épuisée de se mariage : « Tu ne m’enlèveras pas de l’idée que notre amour a vieilli ».
Ils m’ont fait vieillir de 20 ans tant leurs récitations ont asséché mon énergie.
Oui récitations ! J’exagère à peine en reprenant à mon compte les mots de la réalisatrice : « Je voulais que les acteurs ne jouent pas ni n'expriment de sentiments, qu'ils soient là et qu'ils disent leur dialogue comme s'ils le lisaient. En fait, je pensais à des récitants de spectacles orientaux… »
Voilà le troisième film que je voie de la réalisatrice et suis rassuré sur mes impressions quant à sa direction d’acteurs :
« J'ai tourné La Pointe courte en muet. Les pêcheurs et leurs familles, acteurs improvisés, faisaient de leur mieux pour lire les dialogues, mais je ne savais pas encore « diriger » des non-professionnels (ni les pros, Noiret s'en est pas mal plaint)… C'est à Paris qu'il a fallu faire doubler, en post-synchro et après montage, les voix des pêcheurs par des comédiens méridionaux. »
Qu’elle se rassure après « Le bonheur » et « Les créatures », elle ne savait toujours pas diriger les non-professionnels !
Et je suis rassuré aussi de constater que Philippe Noiret, homme de théâtre à ce moment donné de sa vie, un de mes plus grands acteurs fétiches français ait déjà remarqué ce manque de direction.
Entendu, c’est le tout premier film d’Agnès Varda, et comme tout premier film, elle y met toute sa sincérité et toute ses maladresses.
En filmant les enfants, on voit que les regards de ces derniers trahissent la présence de la caméra. Pour un documentaire, ça passe mais pas pour un film de fiction, ça ne passe pas du tout, sauf si c’est revendiqué par le dogme de la Nouvelle Vague !
En effet, les puristes et autres admirateurs de Varda pensent que « La Pointe courte » serait le tout premier film de la Nouvelle Vague. Agnès Varda aurait inspiré le mouvement.
En tout cas, je ne pensais pas être aussi pompeusement bavard avec Agnès Varda.
Ça vaut une demi-étoile supplémentaire car n’étant pas adepte de son cinéma, et de la Nouvelle Vague, je parviens tout de même à développer plus que nécessaire.
En conclusion, je citerai Jacques Siclier, chroniqueur au Monde et au Masque et la Plume, dont je ne partage pas le sous-entendu physique : « Tant de cérébralité chez une jeune femme a quelque chose d'affligeant. […] Agnès Varda doit être bien séduisante pour qu'on ait défendu La Pointe courte avec autant de mauvaise foi ».
Jacques Siclier doit admette qu’il en faut pour tous les goûts… Et aimer « La Pointe courte » ce n’est pas être de mauvaise foi et l’inverse aussi !
Par conséquent je ne fais pas tache !