Véritable plongée dans les marécages du Japon du XVème siècle, époque sujette à la guerre engendrant meurtres et famine, deux femmes survivent grâce au pillage des samouraïs égarés, les hautes herbes sont leur terrain de chasse, un traque sans relâche qui demande rigueur et opiniâtreté. Belle-mère et belle-fille se partagent une hutte rudimentaire, elles voient revenir un jour leur voisin Hashi, seul, leur annonçant la mort au champ de bataille du mari de la bru; suite à ses avances de plus en plus insistantes cette dernière ira rejoindre chaque nuit son nouvel amant, entrainant la jalousie de la vieille femme.
Kaneto Shindō prend bien soin de placer l’atmosphère de son récit, en premier lieu par la gestion de l’espace, de la grandeur interminable des marécages foisonnants au confinement de l’habitation des deux personnages féminins, comme un immense piège à ciel ouvert où se comptent les bénéfices dans ce terrier humain. Le caractère brut de l’œuvre ne tient que sur une impression ambiguë, l’introduction de Hashi qui tout d’abord se montre vil et hautin part lui aussi en chasse de quelque chose, l’assouvissement de ses pulsions sexuelles envers la bru, et c’est ici que le film entame son premier virage. Les relations entre les protagonistes se tendent au fur et à mesure, on ressent une certaine tension, celle de la rivalité érotique, c’est presque animal, car il faut dire que c’est une histoire de sauvageons, une nature humaine faite de meurtres, de sexe et de survie, l’amour n’y est qu’assez futile.
Les séquences nocturnes sont remarquablement bien traduites en terme de sensation d’immersion, autant grâce à la maitrise technique de Shindō, que ça soit son travail du cadre et du son, que par le rythme qu’il emploie, on est vraiment dans ces hautes herbes, c’est frappant et quasi inexplicable, j’ai été profondément transporté. De plus la narration est plus que présente pour continuer d’accroitre le malaise ambiant qui parcours ce triangle passionné, on sait que quelque chose va arriver, c’est imminent … Puis c’est l’apparition trouble et cauchemardesque de ce samouraï masqué réclamant assistance auprès de la vieille femme pour retrouver son chemin, haut degré de symbolisme, comme un avertissement divin (ou démoniaque) de la punition se devant d’être infligée. Second virage, le film passe la frontière de l’épouvante.
La dernière partie rime avec cauchemar, celui de la bru qui courant à perdre le souffle se voit barrer la route par une forme spectrale entre un mur de roseaux, à maintes reprises elle s’y prend, sans effet face à la gardienne de l’abstinence, le climat est juste incroyablement lugubre, c’est fantastique. Les bourrasques de vents et les torrents de pluie se joignent à la folie constante des personnages, le chaos règne, le dénouement est proche. Nous sommes en droit de deviner la résolution de ce mystère, mais le film garde un atout dans son jeu pour ne le dévoiler qu'au moment opportun, nullement un twist à proprement parler mais une véritable réflexion, une synthèse astucieuse des enjeux épisodiques pour constituer une morale digne d’une fable macabre et cruelle.
Onibaba est véritablement un grand film, d’une sidérante beauté et d’une infinie noirceur, Kaneto Shindō signe une œuvre magnétique à mi chemin entre un drame passionnel et un conte horrifique, avec également un sens aigu du cadre et de la composition sonore, tout est d'une sublime subtilité. J'ai personnellement vécu une excellente expérience de cinéma, le genre dont on ressort inévitablement marqué.