La ballade de l'impossible est adapté d'un roman du même nom de l'écrivain japonais Haruki Murakami. Ce livre a été vendu a plus de dix millions d'exemplaires au Japon et trois millions à l'international, il a été publié dans 36 pays et traduit en 33 langues. Tran Anh Hung a, comme beaucoup, été touché par ce roman et tout de suite eu envie d'en faire un film: "Ce fut la poignante mélancolie qui s’en dégageait qui était à l’origine de mon envie de l’adapter. Le livre a créé un espace intime en moi et a fait remonter à la surface les émotions enfouies de sorte que j’ai eu la sensation d’être reconnu par lui. (...) il y a 5 ans, la distributrice japonaise de mon dernier film sorti au Japon m’a envoyé un courriel pour m’informer que, pour la première fois, Murakami a accepté qu’on adapte l’une de ses nouvelles au cinéma. (...) M. Murakami est un homme franc et direct. Lors de notre rencontre, il a posé ses conditions de façon très réaliste : avant de donner son feu vert, il aimerait voir le scénario et connaître le budget du film. Après un seul aller-retour d’échanges de notes sur la première version du scénario, l’auteur m’a souhaité bonne chance pour l’adaptation et n’a réapparu qu’à la fin du montage, à ma demande, pour visionner le film. Ses remarques sur le scénario et sur le montage ont été précieuses."
Tran Anh Hung parle des sentiments qu'il a pu ressentir à la lecture du roman qu'il adapte aujourd'hui: "Soudain, par surprise, on s’aperçoit trop tard qu’on n’a pas suffisamment vécu, suffisamment aimé, suffisamment souffert par amour. Trop tard. On n’aura vécu qu’une infime partie des aspirations de la jeunesse, cette époque des grandes affirmations, des certitudes proclamées les larmes aux yeux. Le temps du saut dans l’inconnu qu’est le sentiment amoureux est passé. Passées également, les grandes frayeurs éprouvées dans l’amour. Et une poignante mélancolie vous saisit, une mélancolie de l’existence telle que même un sentiment amoureux renouvelé ne pourrait qu’en accentuer l’intensité. Voilà ce qu’il y a de saisissant dans La ballade de l'impossible."
On sait que le cinéma s'est pendant longtemps référé au genre littéraire avant de trouver sa modernité en s'en émancipant. Mais avec La ballade de l'impossible, c'est en s'inspirant du livre de Haruki Murakami que Tran Anh Hung a tenté de créer une nouvelle façon d'exprimer des émotions: "J’ai été très étonné d’avoir été assailli par un très grand nombre de ramifications poétiques provoquées par le livre pendant la lecture (...) Ce sentiment complexe m’a fait entrevoir une forme cinématographique pleine de promesses. Tout se passait comme si le livre, par une construction spécifique du récit et par sa voix littéraire, m’émouvait profondément. Il m’a fallu trouver un équivalent cinématographique capable de provoquer cette émotion d’une façon tout aussi mystérieuse en travaillant le matériau spécifique du cinéma."
L'auteur du roman, Haruki Murakami, était partant à l'idée d'adapter le film à des acteurs et un contexte plus occidental. Mais Tran Anh Hung, profondément touché par le "japonisme" de l'histoire, ne concevait pas cette histoire autrement que située au Japon.
Tran Anh Hung ne parle pas japonais mais français. Tourner ce film a donc forcément représenté une difficulté supplémentaire, mais bien secondé, il a pu facilement surmonter cet obstacle: "Même si je ne parle pas la langue, c’est facile de voir si un acteur est juste ou pas dans une scène. En cas de doute, je discutais avec le producteur, M. Shinji Ogawa qui a participé à la rédaction des dialogues et connaissait parfaitement mes intentions pour chaque ligne. J’ai voulu avoir une qualité musicale dans les dialogues ce qui a apporté une difficulté supplémentaire à la réalisation", explique-t-il.
Si comme son nom et ses films l'indiquent, Tran Anh Hung est d'origine vietnamienne, il est pourtant avant tout Français. En effet, il est arrivé en France avec sa famille en 1975 (il a alors 13 ans). C'est d'ailleurs en France qu'il a fait des études de cinéma, à l'école Louis Lumière. Son premier film, L' Odeur de la papaye verte, qui suit le destin d'une jeune domestique dans le Saïgon des années 1950 a en outre été tourné intégralement en France, en studio. La ballade de l'impossible n'est que son cinquième film en près de vingt ans.
A la caméra, Tran Anh Hung a choisi de retravailler avec son directeur de la photographie du film A la verticale de l'été, Ping-Bing Mark Lee. Faire appel au chef opérateur attitré de Hsiao-hsien Hou (Les Fleurs de Shanghai, Millennium Mambo) a été une évidence pour le réalisateur: "Pour un film dont le thème est la formation de la personnalité à travers l’incertitude de l’amour, la souffrance de perdre l’être aimé, le miracle du retour à la vie après le deuil par une voie extrêmement audacieuse, la collaboration avec Mark est une évidence pour sa façon de bouger la caméra qui donne à l’image une sensation d’instabilité et de flottaison exprimant une profonde inquiétude face à la fragilité de l’existence."
La décoratrice et costumière du film Yen-Khe Luguern n'est autre que Tran Nu Yên-Khê, l'actrice principale de L' Odeur de la papaye verte (de la fin du film) et de tous les films de Tran Anh Hung excepté celui-ci. Elle a par ailleurs toujours eu un rôle de directrice artistique plus ou moins officiel. Comme le réalisateur, cette vietnamienne est arrivée en France enfant.
C'est la troisième collaboration entre Tran Anh Hung et son monteur, Mario Battistel. Cet ancien professeur de littérature française, passé par le clip et la publicité, a travaillé avec le réalisateur sur A la verticale de l'été et I Come with the Rain.
C'est Rinko Kikuchi (la japonaise sourde en mal de repères dans Babel) qui joue ici le rôle de Naoko. Un rôle qu'elle aurait pu ne pas obtenir aux dires de Tran Anh Hung: "Je l’avais vue dans Babel et je ne pensais pas qu’elle conviendrait au rôle de Naoko. Mais elle a tenu à passer l’audition. Quand j’ai vu la vidéo, j’ai réalisé mon erreur. C’est une grande chance pour moi et pour le film qu’elle ait insisté. Certaines scènes du film n’auraient pas pu être tournées comme elles le sont si je ne pouvais pas m’appuyer sur son talent et celui de Kenichi". Sa carrière semble tournée vers l'international puisqu'à part Alejandro González Inárritu, mexicain et Tran Anh Hung (français d'origine vietnamienne), elle a tourné avec l'espagnole Isabel Coixet dans Carte des sons de Tokyo, l'américain Rian Johnson dans Une arnaque presque parfaite et le suédois Mikaël Hafstrom dans Shangaï.
L'actrice Kiko Mizuhara joue ici son premier rôle, mais c'est justement sa grande fraicheur qui a séduit le réalisateur: "Kiko, bien que manquant d’expérience, dégageait cette infaillible gentillesse et douceur sur lesquelles Watanabe pouvait compter tout au long de son parcours douloureux." Avant cela, la jeune fille avait été mannequin et a été élue, à l'âge de 13 ans, "Miss Seventeen" du nom d'un journal pour adolescents dans lequel elle a posé.
La musique de La ballade de l'impossible a été composée par Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead, qui avait déjà composé la musique de There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson en 2007. Tran Anh Hung nous parle de son choix: "En voyant There Will Be Blood, j’ai été séduit et ému par la musique de Greenwood. Elle avait une profondeur et une sonorité qui la rendaient différente de ce qu’on peut entendre dans d’autres films. Jonny était devenu l’homme de la situation pour mon film parce qu’il avait cette profondeur nécessaire à cette histoire romantique, traversée d’une sombre beauté, une histoire où les personnages se retrouvent souvent dans des états psychologiques et des dilemmes complexes entraînant une grande souffrance morale. Il a composé une magnifique musique pour le film et ce qu’il a fait pour la scène du deuil au bord de la mer est exceptionnel."
A noter que déjà dans Cyclo, en 1995, Tran Anh Hung avait utilisé le premier tube de Radiohead, Creep, pendant une belle scène de doute de Tony Leung, le poète, dans une boite de nuit.