Fascination et petite frustration, c'est ce que l'on ressent à la sortie du film. C'est aussi ce que l'on peut ressentir en général face au cinéma de Wong Kar-wai, avec une balance qui penche, selon les films, davantage vers l'admiration ou davantage vers l'exaspération. Ici, c'est tout de même l'admiration qui l'emporte face à une création visuelle qui touche parfois au sublime. Mais on regrette, comme toujours, que le scénario soit le parent pauvre de cet art d'orfèvre. Au demeurant, on a vu pire, c'est-à-dire moins lisible ou plus léger, dans la filmo de Wong : Les Cendres du temps, My Blueberry Nights... Le scénario de The Grandmaster reste intéressant sur le plan thématique (les relations entre maître et disciple, les luttes de pouvoir, les questions d'honneur et de vengeance...), malgré un traitement un peu confus en matière de biopic et d'Histoire. Par exemple, on cerne mal le personnage de La Lame, et l'évocation de la séparation entre Ip Man et sa femme est assez floue. Par ailleurs, certaines pistes auraient pu être davantage développées, comme celle de la rencontre avec le futur Bruce Lee, et surtout celle de l'amour platonique et mélancolique entre Ip Man et le personnage de Gong Er (Zhang Ziyi). D'autant que leur dialogue final, présenté en un simple champ/contrechamp, est certainement la scène la plus émouvante du film. Mais le réalisateur préfère écrire ses scénarios au jour le jour, négligeant la prise de recul et l'ordre du récit, au profit de l'inspiration esthétique. Dommage. Mais quelle inspiration... Entre les génériques de début et de fin (originaux et somptueux), tout n'est que raffinement : décors, costumes, lumière, réalisation... Les chorégraphies de combats touchent au plus haut d'une poétique du geste parfait, en relevant des défis toujours plus compliqués : tournage sous la pluie ou dans des lieux confinés (le Pavillon d'or). Les acteurs sont eux aussi très beaux et parfaits, Tony Leung en tête : jamais une goutte de sueur, jamais une mèche de travers... La classe. Dans sa mise en valeur d'un âge d'or du kung-fu, fastueux et technique, le cinéaste a donc globalement réussi son coup. En beauté.