La Chine a toujours été fière de son kung-fu et son cinéma a toujours su célébrer en beauté les héros adeptes des arts martiaux, immortalisant ainsi le récit de leurs vies, récit souvent embelli par la légende populaire. Dans les années 80/90, Hong-Kong nous avait pondu une flopée de films autour du personnage de Wong Fei-Hung, dont on retiendra surtout la saga des "Il Etait une Fois en Chine" de Tsui Hark. Depuis quelques temps, c'est un autre personnage tout aussi fascinant qui semble inspirer les cinéastes de l'ancienne colonie britannique : Ip Man, enseignant de la boxe wing-chun qui doit surtout sa renommé de ce côté-ci de la planète à son illustre disciple Bruce Lee. Après quelques films sur le sujet pas vraiment mémorables (hormis le sympathique diptyque de Wilson Yip sorti ici en DTV), le grand maître des arts martiaux a droit à la consécration et à la reconnaissance internationale grâce au grand maître du cinéma, Wong Kar-Wai. Sans doute aussi déroutant pour les fans de films de kung-fu que "Les Cendres du Temps" l'était il y a 20 ans pour les fans de wu-xia-pian, "The Grandmaster" porte indéniablement la marque de son auteur. Quel que soit le genre auquel il se frotte, quelle que soit l'époque à laquelle se déroulent ses films, quelle que soit la nationalité de ses personnages... Wong Kar-Wai fait toujours du Wong Kar-Wai. Même si chez nous, les critiques se tripotent à fond sur lui depuis "In the Mood for Love", l'apogée du style Wong, à mon avis, c'est plutôt "Chungking Express" en 1994. Et depuis, même si ses films sont toujours d'une beauté visuelle à couper le souffle, il faut reconnaître qu'à chaque nouvelle fournée, on se fait un peu plus chier qu'à la précédente. Voire beaucoup plus chier ("2046", "My Blueberry Nights"). Pas de ça ici ! Bon, c'est vrai, il y a pas mal de trous dans le scénario et le montage chaotique peut parfois déconcerter : on se demande par exemple ce que vient foutre dans l'intrigue le personnage de La Lame (Chang Chen), si ce n'est illustrer à l'écran quelques-uns des thèmes (voire des obsessions) chers à Wong Kar-Wai (le hasard, la rencontre furtive...). Loin d'être irréprochable de ce côté-là, "The Grandmaster" remporte la mise grâce à son approche formelle éblouissante (ah, les fameux accélérés/ralentis !), à la poésie qui s'en dégage et à ses comédiens formidables. Tony Leung a beau être beaucoup moins convaincant au niveau technique dans le rôle d'Ip Man qu'un acteur/artiste martial comme Donnie Yen (qui a incarné le sifu pour Wilson Yip), quel putain de charisme pour tout le reste ! Et que dire de la sublimissime Zhang Ziyi ! On la voit mûrir, vieillir en même temps que son personnage qu'elle incarne avec une grâce, une fragilité et aussi une détermination époustouflantes. La scène où elle avoue à Ip Man 20 ans d'amour caché restera comme l'une des plus mémorables et des plus émouvantes du genre. Quant aux combats orchestrés par un autre "grandmaster", Yuen Woo-Ping, ils se fondent parfaitement dans le moule du cinéma de Wong Kar-Wai : classieux, avec pas mal de retenue, gagnant en élégance ce qu'ils perdent en brutalité. Un style plus esthétique qu'organique, quoi. Tout pour plaire au public de festivals, diront les mauvaises langues. Ouais, et alors ?