Celluloïd Gangster : les secrets du tournage

Comment se projeter dans le monde aussi facilement que l'on vit à l'écran ? Qui nous dit que les personnages de films ne rêvent pas? Et s'ils rêvent, n'ambitionnent-ils pas de devenir réels? Cette question se rattache à un souvenir, l'un de mes premiers émois au cinéma, incarné par la beauté torride de Jennifer Jones dans Duel in the Sun. Elle attisait la rivalité entre les frères Mc Canless, autant subjugués l'un que l'autre par son visage de belle sauvageonne. Les semaines qui suivirent, les visages que je dessinais au fond de la classe finissaient tous par lui ressembler. C'est comme si le personnage de Jennifer Jones avait fait irruption dans ma vie en s'emparant de mon quotidien pour le magnifier. Cela explique le dernier plan de Celluloïd Gangster, qui est tiré de ce film, Duel in the Sun. C'est ce que dit la chanson de fin: " Les saisons passent et le temps change (...) mais rappelle toi quand on jouait : Bang ! Bang ! "

Inversement, nous spectateurs, comment introduire le rêve, la fiction dans notre vie? Aussi facilement que l'on s'y projette à l'écran? Comme si la lumière ne s'était jamais rallumée dans la salle à la fin de la séance? Cette confrontation, ce métissage entre imaginaire cinématographique et univers réel, sont le coeur, le moteur, du film. C'est ainsi qu'est née l'idée de Celluloïd Gangster. Restait à tourner : Deux types, deux "icônes", rappelant la figure classique des "brothers", sous l'autorité d'une Calamity Jane déjantée de banlieue qui veille à sa crapuleuse progéniture. Ils tentent de vivre en Technicolor. Leur monde vacille entre fantasme et réalité. Ils en deviennent caricaturaux. Cette sauvage parodie, cette brutalité cartoonesque, sont aux antipodes de la fascination pour la violence. Ces gangsters cinéphages sont largués dans le monde. On ne sait pas s'ils sortent du panthéon des "méchants" de l'histoire du cinéma ou d'un fait divers de journal télévisé. De quel côté de l'écran sont-ils? Le savent-ils eux même?

J'ai choisi des acteurs professionnels et des amateurs pour mieux incarner cette alchimie. Les deux héros, échappés de la fiction, sont des comédiens professionnels. Tous les personnages qu'ils rencontrent au cours de leur " opération commando " sont de " vrais gens " : des habitants de mon quartier, que je côtoie tous les jours. Tous ont adoré, et moi avec, cette rencontre, cette confluence. Ils ont été, pour certains, le fruit d'amitiés, et pour d'autres, "harponnés" dans la rue à proximité géographique du tournage, avant d'être projetés devant la caméra. Conclusion logique, quand elle s'est arrêtée de tourner, nos héros vêtus de longs manteaux ont arraché leur bas résille. Ils s'en sont allés rejoindre leur mythologie hollywoodienne. Au pas de course si ce n'est la mort aux trousses, ils se fondent dans l'écran dont on comprend alors qu'ils n'en sont sortis que pour cette brève et brutale incursion au pays du réel.