Directrice de recherche au CNRS, Eliane de Latour a travaillé comme anthropologue en Afrique occidentale avant de commencer le tournage au Niger de son premier film documentaire en 1983, Les Temps du pouvoir. Cinq autres documentaires ont suivi. Depuis une dizaine d'années, elle s'est penchée sur des lieux de relégation sociale à l'âge, au sexe, à la faute. Ainsi, Le reflet de la vie, datant de 1989, traite des maisons où l'ont refoule les personnes âgées dans nos sociétés. En 1996, elle signe Si bleu, si calme, qui aborde l'univers d'une prison à Paris. Mais c'est surtout avec Bronx-Barbes en 2000 qu'Eliane de Latour. Elle a d'ailleurs remporté un Prix spécial au Festival international du film de Locarno (Suisse).
La musique du film est faite de chants originaux issus du reggae, du rap, du ragga et d'autres synthèses musicales de la nouvelle Afrique, comme de traditions diverses, culturelles ou religieuses. Tous les chanteurs et chanteuses ont accepté, le temps d'enregistrer la BO du film, de mettre de côté leurs propres formations musicales.
Otho et Shad, respectivement incarnés par Djédjé Apali et Fraser James, sont les personnages principaux de Après l'océan. La réalisatrice Eliane de Latour parle d'eux ainsi : "Shad est porté par un rêve d'héroïsme enraciné dans une histoire ancienne traversée d'épopées conquérantes, comme celle de Kanta, ce guerrier ancestral qui vit en lui. Un rêve d'intégration sociale soumise à l'acquittement de la dette de vie, acte loué par les griots et les animateurs qui chantent les dons aux vieux parents, aux petits frères, aux nécessiteux. Un rêve de modernité marqué par un retour glorieux avec tous les signes ostentatoires de celui qui " y est allé ". Un rêve de liberté qui passe par l'obtention d'un passeport recherché par n'importe quel moyen, boulot, escroquerie, mariage blanc...Otho lucide, voit la perversion du système qui rend ses semblables de plus en plus dépendants. Il n'est leurré ni par l'Occident libéral et sa cruauté à faire croire que l'argent résout tout, ni par la soi-disant fraternité africaine qui se retourne dès que l'intérêt personnel est en jeu. Il veut construire à partir des richesses locales tout en s'inscrivant dans le monde, mais pour lui l'économie doit correspondre à une idée de liberté."
Pour Eliane de Latour, les politiques anti-immigrés sont d'abord "des réponses à la peur engendrée par l'idée d'une installation du Tiers-monde à nos portes". La réalisatrice trouve néanmoins intéressante l'idée que "des "expatriés" ou la venue de certains en Europe pour y puiser savoir et argent, avant de retourner chez eux enrichir leur propre pays, pourrait sans doute faire son chemin dans les années à venir. Cela nourrirait de nouvelles dynamiques en Afrique, intéressantes, car portées par ceux qui bougent et qui créent des ponts entre les deux rives de l'océan. Le nombre de clandestins en serait diminué et le regard sur les immigrés, modifié". Il faut savoir que dans le cadre du programme français visant à promouvoir une "immigration choisie" par le gouvernement, les autorités françaises délivrent dans les pays concernés des cartes de séjour "compétences & talents", d'une durée de trois ans renouvelable.
L'esthétique de Après l'océan tente de correspondre à l'imaginaire des personnages, un imaginaire construit en symbiose avec ceux qui sont restés au pays et qui voient dans ces " aventuriers " des sauveurs et des hommes courageux. Ou des " mourants " s'ils échouent..."J'ai voulu restituer une vision intérieure et non celles que nous portons sur les immigrés, souvent empreintes de dolorisme et de compassion" précise Eliane de Latour. "L'Europe, où se fabrique la légende, est contrastée, flamboyante. Le choix de la mise en scène répond aux états d'âme de Shad, à ses rêves, bien plus qu'aux conditions objectives dans lesquelles il évolue. S'il est émerveillé en entrant pour la première fois dans un maquis parisien, ce n'est pas le maquis qui va retenir mon attention, mais son émerveillement". Et d'ajouter : "Ciels bleus et verts cocotiers ont sciemment été évacués en Côte d'Ivoire. Je voulais éviter tout exotisme dans un univers qui doit renvoyer à la posture figée, étouffée, d'Otho. "Exo" c'est sortir, ce film cherche à être "dedans".