«Le cri» (1957) d'Antonioni est un film-charnière dans l'itinéraire artistique du réalisateur. Situé à la fin de sa période néoréaliste et avant une période de silence de trois ans qui débouchera sur la révélation, en 1960, du chef-d'oeuvre constitué par «L'Avventura», il participe encore du naturalisme social propre au néoréalisme italien, mais lorgne déjà en direction de l'esthétique typique de la trilogie du début des années 60. Ainsi, le décor de l'histoire contée est-il celui de la plaine du Pô, non loin de Ferrare; et il dépeint avec précision la misère qui y règne. Mais l'attention ne porte en définitive pas tant sur la problématique sociale que sur la psychologie des personnages, en sorte que le réalisateur traite paradoxalement ses décors à la fois de manière naturaliste et de manière antinaturaliste! Le paysage est à la fois le portrait d'une situation sociale difficile, mais aussi le reflet de la psychologie dépressive d'Aldo, le personnage principal. Avec son directeur de la photographie, Gianni Di Venanzo, Antonioni a systématiquement évité les blancs et les noirs, trop contrastés, pour dessiner ses images dans un dégradé de toutes les nuances du gris, tandis qu'il a plongé l'histoire, traitée à la manière d'un faux road-movie, tout entière dans les épais brouillards de l'hiver, alors qu'elle est pourtant censée durer à peu près une année! Tout cela à bonne fin de suggérer l'enfermement d'Aldo dans un état d'âme morbide. Il faut donc voir «Le cri», d'abord pour ce qu'il est en lui-même, mais ensuite aussi pour mesurer, à l'aune de sa narration bien linéaire, toute la nouveauté de «L'Avventura», le suicide d'Aldo, au terme de l'histoire, signant définitivement la mort d'une conception du cinéma qui, aux yeux du réalisateur, avait assez vécue!