Chantal Akerman, dernier film en date, La folie Almayer. En partant d'un roman sur les quelques ruines du colonialisme qui habite l'Asie du Sud-Est, la réalisatrice part dans le cinéma, dans un langage cinématographique qui n'appartient plus qu'à elle et qui se rapproche d'ailleurs beaucoup d'une écriture littéraire. Les espaces sont découpés un à un, et dans chacun d'eux c'est une pause sans limite, ou un long glissement. Oui, certes, glissement, contamination, folie... Finalement le film pourrait se répéter et virer au petit pensum. Pourtant Akerman parvient à renouveler chaque instant son dialogue, ses personnages sont magnifiques, depuis leur posture un peu figée, ils finissent par êtres bien trop réalistes, réalistes car emprunts de cette fatigue et de cette lassitude terrible qui les prends à la gorge et dans tout le corps. Le film finit par être lui-même crampé, au point d'osciller entre des séquences pensantes et presque vaines dans une quelle-qu’autre narration/film, et des scènes d'une grande simplicité qui visent l'efficacité absolue, quitte à réveiller ceux qui dormaient. Il suffit de voir des plans comme l'arrivée d'Abdoula, des plans de pirogue avant tout, qui sortent de nulle part, sans que l'on ne les ait vraiment attendu ou imagine, que la voix-off s'y mêle, et que le film redevienne encore autre chose. La fin du film qui déraille progressivement vers un autre ailleurs, vers la perdition et la tristesse est non seulement d'une grande beauté (l'esthétique du film n'a rien à envier à tous les autres films de jungle qui se veulent étouffant - ici, on respire vraiment mal!) et d'une grande sensibilité finalement. Chantal parvient à créer de l’émotion dans un film apparemment froid et distant, pour faire se rapprocher les comédiens de nous, par eux-mêmes, dans un mouvement qui leur est propre.
Oui, c'est sans doute ce simple fait qui entraîne un film aussi particulier et personnel : il ne ressemble à pas grand chose d'autre. On voudrait le rapprocher d'un énième film sur la lenteur/l'ennui/la folie... et pourtant il nous surprend et se fait un chemin à part dans le cinéma tout court, à coups d'une rythmique bien spéciale, entre plans séquences inattendus et cut agressifs.
Le dernier plan est, dans l'idée même (il faut voir le mouvement bien particulier qu'il cache, ce n'est pas un simple traveling!) est magnifique. Il clôt un ovni français qui est resté un peu dans l'ombre, soit, mais cinématographiquement, il n'y a rien d'égal depuis longtemps : arriver à faire autant réfléchir la matière de l'image sans barber un spectateur, et lui livrer une histoire, ce n'est pas qu'une simple gageur de film arty!