J'avais manifesté ma déception il y a quelques mois pour le premier film chilien de ces critiques, le très déplaisant "Tony Manero" de Pablo Larain. Cette déception était d'autant plus grande que je gardais le souvenir de la vitalité du cinéma de l'Unité Populaire au début des années 70, avec des films comme "Le Chacal de Nahueltoro" de Miguel Litin, "La Métamorphose d'un Chef de la police" d'Helvio Soto, ou "Valparaiso mon amour" d'Aldo Francia. C'est donc avec une envie teintée d'un peu d'inquiétude que je suis allé voir ce deuxième film de Sebastian Silva.
Difficile pourtant de situer "La Nana" dans le contexte du Chili actuel, vu qu'à l'exception de quelques courtes scènes, la quasi-intégralité de l'action se déroule à huis clos dans la maison de la famille que Raquel sert depuis deux décennies. On ne sait rien de ce qui se passe à l'extérieur de cette villa, et quand les personnages en sortent, la caméra reste serrée sur eux en ne donnant à voir de l'environnement que des murs anonymes.
C'est donc ce qui se passe entre ces quatre murs qui a intéressé Sebastian Silva, qui raconte avoir eu des bonnes à la maison durant son enfance, et à qui il dédit d'ailleurs ce film. Il traite plus particulièrement de la place de Raquel dans cette famille, entre bonne conscience à la Le Quesnoy, préjugés de caste et réelle affection. Le film s'ouvre sur un gros plan de Raquel réfugiée dans la cuisine, alors qu'on entend hors cadre les voix des membres de la famille qui l'attendent dans la salle à manger pour célébrer son anniversaire. Raquel, gênée, refuse d'y aller, et il faut que ce soit le cadet, son chouchou, qui aille la chercher pour qu'elle accepte enfin de venir.
Mais quand la maîtresse de maison décide de lui adjoindre une autre bonne, Raquel se sent dépossédée de sa place privilégiée, notamment auprès des enfants auquels elle a sacrifié sa vie. Elle entame alors une guerilla impitoyable avec les candidates qui se succèdent, avec une prédilection pour sa tactique de les enfermer dehors. A y bien regarder, il n'y a rien de très étonnant à la voir adopter un comportement aussi puéril, tant les habitants de cette maison manifestent tous une forme d'immaturité : le père qui passe des heures à construire une maquette de bateau et qui supplie Raquel de cacher ses escapades au golf, la mère qui se fait régenter par sa propre mère qui lui reproche son libéralisme domestique, et l'aînée qui projette un rejet adolescent contre Raquel - qui lui rend bien.
La description de ces relations se situe parfois sur le fil du rasoir, entre justesse de certains détails et caricature de quelques situations. Cet équilibre instable se percevait d'ailleurs nettement dans la salle où j'ai vu le film, avec des spectateurs qui manifestaient une gêne devant la cruauté un peu condescendante d'une scène, et d'autres qui riaient franchement. L'origine de cette condescendance est peut-être à chercher dans la description de la personnalité brute de décoffrage de Raquel, jouée par Catalina Saavedra qui a adopté une démarche monolithique et un mutisme perpétuellement sur la défensive.
Tourné en numérique, cadré de près à cause du manque de recul du décor de la maison, "La Nana" possède quand même une indéniable vitalité, et réussit à intriguer sur un sujet aussi désuet de nos jours, grâce à un sens du détail qui sonne souvent juste. Il est cependant dommage que le réalisateur ait choisi de façon un peu trop démonstrative de sortir Raquel de son néandertalisme au moyen de l'irruption d'un personnage, croisement de Mary Poppins et de Poppy de "Be Happy", choisissant ainsi de ne pas aller jusqu'au bout de l'énigme de son héroïne.
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