Après avoir rêvé d’un film réalisé par Woody Allen, la réalisatrice a vu American Splendor et est tombée sous le charme de Paul Giamatti : « J’ai écrit le film pour lui, sans savoir si le projet pouvait l’intéresser. »
En 2006, Sophie Barthes retrouve son acteur rêvé par hasard pendant le festival du film de Nantucket où l’acteur remettait un prix. Elle lui parle de son projet et il l’accepte. Cependant, Paul Giamatti part à ce moment pour le tournage d’un autre film. Il faut donc patienter encore un an avant que le film ne puisse commencer. C’est cette année qui permet à Sophie Barthes de rencontrer Andrew Mondshein (monteur du Sixième Sens), charmé par le projet et désireux de travailler avec la réalisatrice.
Outre le fait que le film soit né d’un rêve fait à la suite de la lecture d’un livre du psychanalyste Carl Jung (L’homme a la découverte de son âme), Sophie Barthes inscrit elle-même son livre dans sa psychanalyse même si d’autres pourraient voir dans un tel sujet une empreinte religieuse : « Chacun est libre de son interprétation, même si, personnellement, je l’inscris dans la psychanalyse. Ames en stock porte l’empreinte de Jung : c’était un homme très croyant mais qui ne mélangeait pas la foi et la science. Pour le traitement de ses patients, il se plongeait dans la complexité de l’âme humaine. Il a montré que dans certaines sociétés primitives, des tribus croyaient à la perte de l’âme : elle pouvait alors se réfugier dans un arbre ou un animal, à charge pour le chaman de l’obliger à réintégrer le corps de son propriétaire. La métaphore du film, c’est d’imaginer l’âme comme un tissu étranges d’émotions, de souvenirs oubliés et de rêves : soit on essaye de l’enrichir, soit on l’abandonne au risque qu’elle s’atrophie. L’homme tend à négliger son âme mais celle-ci revient toujours à la charge, parfois brutalement sous la forme de névrose, de dépression», explique-t-elle.
Ayant écrit le film à partir des rôles et des interviews de Paul Giamatti, il est évident que de nombreux obstacles sont tombés en ce qui concerne la production du film, lorsque ce dernier a accepté le rôle. Sa présence a notamment facilité le reste du casting : « Si Paul n’avait pas accepté le rôle, mon scénario se serait effondré. J’y avais forcément songé, en me disant que je traduirais l’histoire en français pour approcher Mathieu Amalric! Lorsque Paul a donné son accord, beaucoup d’obstacles sont tombés. Sa présence a agi comme un aimant auprès d’autres acteurs comme David Strathairn et Emily Watson qui le respectent infiniment. »
Un casting très hétéroclite donc, que l’on retrouve aux côtés de Paul Giamatti: « David Strathairn, en médecin farfelu et qui fut déjà le partenaire de Paul sur scène dans une pièce de… Tchekhov ; Dina Korzun, l’une des grandes figures du Théâtre de Moscou qui incarne la « mule » convoyeuse d’âmes ; la canadienne Katheryn Winnick dans la peau d’une bimbo russe ; Lauren Ambrose en secrétaire médicale compréhensive, dont les fans de Six Feet Under gardent un souvenir ému ; enfin l’anglaise Emily Watson, révélée par Breaking the Waves, qui joue l’épouse infortunée de Paul Giamatti »
Même si Sophie Barthes a construit son personnage à partir des rôles de Paul Giamatti dans American Splendor et Sideways, ce dernier est plus proche finalement des héros de Woody Allen, réalisateur dont la scénariste/réalisatrice s’est beaucoup inspirée : « Dans la fiction que j’ai élaborée, Paul Giamatti est dans la veine des héros de Woody Allen : l’archétype de l’acteur new-yorkais névrosé, peu sûr de lui et qui porte le poids du monde sur ses épaules. Tout le contraire de Paul Giamatti, le vrai, beaucoup plus cool, tout sauf narcissique, qui a un humour fin et beaucoup de distance. Je trouve que c’est un comédien qui n’est pas assez reconnu ; il dégage beaucoup d’humanité certainement parce que l’on sent qu’il doute. J’aime aussi le parallèle entre l’âme et l’ego artistique. Le personnage de Paul et celui d’Oncle Vania ont ceci de commun : l’angoisse de la chute et de l’échec. »
« L’une de mes obsessions était de ne pas sombrer dans la comédie romantique. Si Paul et Nina étaient tombés amoureux, les producteurs auraient sauté de joie mais pas moi. » explique Sophie Barthes. Le personnage de Nina est pour elle plus une sœur d’âme qu’une âme-sœur : « Leur relation se situe à un autre niveau, plus spirituel : ils partagent des fragments d’âmes. J’ai un faible pour le personnage de Nina parce qu’elle me rappelle mon enfance nomadique. J’ai beaucoup voyagé avec mes parents et le sentiment d’être en transit, d’accumuler des parcelles de lieux et de gens m’a beaucoup influencée au moment de l’écriture. (...) J’en reviens aussi à Jung parce que Nina représente pour moi la partie féminine que Paul a toujours réprimée en lui. C’est aussi pour cette raison qu’elle a une place prédominante comparée à Claire. Son couple avec Paul est fissuré avant même que les ennuis ne commencent : si leurs liens avaient été plus forts, Paul ne se serait pas débarrassé de son âme sans la prévenir et Claire ne le laisserait pas s’envoler seul pour Saint-Pétersbourg», analyse-t-elle.
Ames en stock est aux frontières du réel jouant sans cesse entre la réalité, le rêve et la science-fiction. Par ce biais, le film fait une satire de la société américaine, toujours en proie à la recherche du bonheur: « J’aime énormément la tradition surréaliste, le théâtre de Beckett et de Ionesco. Tous jouent de cette science-fiction du quotidien, parce que notre ordinaire est déjà absurde en soi. Le film peut être perçu comme un rêve : tout au long du récit, Paul se réveille plusieurs fois et lorsqu’il se confesse à sa femme, il se plaint de vivre un cauchemar. Lorsque vous vivez aux Etats-Unis, vous nagez chaque jour en pleine science-fiction : si l’extraction d’âme était possible, les gens se précipiteraient ; il y a une telle obsession du bien-être que cela serait juste une étape logique après la phase "Prozac" », affirme-t-elle.
En plus d’un clin d’œil au public russe quand Sveta, l’épouse d’un mafieux, croit s’être implantée l’âme d’Al Pacino dont les russes sont fans, plusieurs personnages et lieux du films sont, soit une satire, soit un hommage à la Russie et aux russes : « J’ai toujours adoré la littérature russe, Tchekhov donc et son Oncle Vania que j’ai dû lire une vingtaine de fois, mais c’est vrai que j’avais également envie de flirter avec les clichés : l’idée de l’âme russe tourmentée en est un qui s’accordait au ton satirique du film. Après avoir inventé le trafic d’âmes, comme il en existe pour les organes ou la drogue avec les mules, j’ai trouvé que la Russie s’y prêtait parfaitement et l’idée qu’il y ait là-bas un surplus d’âmes convoité par des Américains me séduisait. (...) Ensuite, Andrij Parekh, le directeur de la photographie, est d’origine ukrainienne et nous avions déjà réalisé ensemble un court-métrage à Kiev. J’ai toujours été attiré esthétiquement par Saint-Pétersbourg qui est la ville des grands poètes russes. J’ai voulu imprimer à cette seconde partie du film un rythme plus contemplatif et mélancolique. Je ne voyais pas comment parler de l’âme sans cela. »
Le surréalisme est un genre beaucoup moins évident aux Etats-Unis qu’en France explique la réalisatrice : « Les seuls réalisateurs qui explorent cet univers sont Spike Jonze, Charlie Kaufman et Michel Gondry : lorsque vous arrivez après eux, vous subissez invariablement la comparaison. Par contre, ils ont ouvert la voie à un genre absurde et hors norme, en prouvant que leur singularité n’était pas incompatible avec le succès » Par ailleurs, les comparaisons vont bon train : « J’ai tout entendu, y compris qu’il s’agissait d’un croisement entre Dans la peau de John Malkovich et Vanilla Sky», s'amuse-t-elle.
En réalité, les influences réelles de Sophie Barthes sont ailleurs : « Personnellement, je suis davantage influencée par Woody Allen, notamment La Rose pourpre du Caire, et par le cinéma surréaliste, Buñuel évidemment… » Pour ce qui est de la photographie, elle ajoute : « Avec Andrij, nous avons élaboré en amont le traitement visuel et défini une palette de couleurs pastel, notamment à partir des travaux de Francis Bacon et des photos de Deborah Tuberville. »
Le directeur de la photographie et la chef décoratrice ont tous deux travaillé l’univers du film avec la réalisatrice. Ils expliquent l’intérêt du travail des lieux pour un film surréaliste : « J’ai un penchant pour le naturalisme donc je cherche toujours dans l’espace du décor les éléments qui vont permettre au scénario ou au story-board de prendre vie », précise le directeur de la photographie. « Ce que l’on peut faire d’un lieu dépend de la créativité de chacun. (…) »
Et la chef décoratrice d’ajouter : « Donner vie à un scénario aussi complexe, avec un budget relativement faible, requiert beaucoup d’ingéniosité et de débrouillardise, comme de fabriquer à la main des objets futuristes à partir de pièces de quincaillerie ou de bénéficier des dons de fournisseurs. Avec le concours de chaque département, nous avons abouti tous ensemble à parfaire un style visuel unique. Ames en stock reste pour moi l’exemple parfait de ce qui peut être accompli lorsque l’on unit créativité, passion et collaboration au-delà des considérations budgétaires ».
Cold Souls est le premier film de la réalisatrice Sophie Barthes.
Le film Cold Souls a été inspiré par un rêve de Sophie Barthes dans lequel Woody Allen voyait son âme se matérialiser sous la forme d'un pois chiche. Au départ, elle aurait voulu écrire un scénario partant de cette idée et le confier au célèbre cinéaste. Cependant, l'idée étant un peu irréaliste, elle a finalement décidé de faire le film elle-même.