Le film a été présenté au Festival de Berlin en 2009 dans le cadre de la section Forum.
Auteur d'un livre autobiographique, Ma plus belle évasion, paru en 2005, Michel Vaujour avait jusqu'à présent toujours refusé de participer à un documentaire consacré à son itinéraire La cinéaste explique comment elle a réussi à le convaincre : "Quand je l'ai rencontré pour la première fois, en février 2004, il n'était libre que depuis six mois et pourtant il n'en parlait jamais, comme si le passé n'existait pas (...) Michel ne se confie pas facilement et il voulait savoir qui j'étais. Je lui ai parlé de mon expérience de psychosociologue, de l'époque où je travaillais auprès des soignants à l'accompagnement des mourants. La mort, Michel la connaissait bien : il avait flirté avec elle toute sa vie ! Avec cette balle dans la tête, il avait vécu ce qu'on appelle une NDE (Near Death Experience)."
Fabienne Godet précise le sens de sa démarche : "Je ne soutiens pas ce que Michel a fait mais je tente de comprendre sans juger comment l'enfant qu'il était est devenu cet homme dangereux. En revanche, je soutiens son parcours à la lumière de ce qu'il est devenu aujourd'hui. D'où lui vient sa capacité à trouver de la vie au coeur d'un processus de destruction ? Le film s'ouvre et se referme par une célébration de la vie, et de " la beauté de ce qui nous est offert ". Or cet homme a passé près de la moitié de son existence en prison : 27 ans, dont 17 d'isolement. Qu'est-ce que c'est, au juste, de ne pas pouvoir toucher quelqu'un pendant tant d'années ? Comment se fait-il qu'il ne soit pas devenu fou, qu'il n'ait pas été broyé ? C'est ce mystère de la résilience que j'essaie de percer."
En 1993, un film de fiction avait été tiré d'un des épisodes les plus spectaculaires de la vie de Michel Vaujour : son évasion de la prison de la Santé en 1986, à bord d'un hélicoptère piloté par sa femme Nadine. Il s'agit de La Fille de l'air de Maroun Bagdadi avec Béatrice Dalle et Thierry Fortineau.
Fin 2003, Fabienne Godet tournage d'un documentaire sur Dominique Loiseau, policier accusé à tort d'être un "ripou". "Quand je lui ai demandé ce qui lui avait permis de tenir en prison, il m'a parlé de son père mais aussi de Michel Vaujour, qu'il avait rencontré à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy", raconte-t-elle. "À cette époque, Dominique était au plus mal psychologiquement. Michel, lui, avait pris une balle dans la tête au cours d'un hold-up et se rééduquait seul (...) Je les ai donc rassemblés. Au cours du tournage, Michel a prononcé ces mots : " Ce qui m'a touché chez Do, c'est une innocence que j'ai retrouvée dans sa douleur. Une innocence que moi j'avais perdue en chemin. Une innocence que j'avais dû laisser derrière moi pour survivre. " Ces phrases m'ont bouleversée. Par-delà nos parcours très différents, je les ai d'abord entendues pour ce qu'elles faisaient résonner en moi : elles m'évoquaient les rêves et les idéaux abandonnés à l'épreuve du réel ; elles me disaient les deuils et le désenchantement dont esttissée la vie. Mais là où je ne voyais que la douleur, Michel montrait qu'on pouvait en faire une force. Ces phrases sont à l'origine du désir de faire un film avec lui, elles en sont aussi la trame secrète."
Ne me libérez pas, je m'en charge est le deuxième long métrage cinéma de Fabienne Godet. Le premier, Sauf le respect que je vous dois, était une fiction, mais très ancrée dans la société contemporaine, puisqu'il y était question du mal-être au sein des entreprises. Elle a également signé un moyen-métrage très remarqué, La Tentation de l'innocence, oeuvre intimiste qui se situait dans l'univers de la justice.
Selon la réalisatrice, le thème de la liberation est au coeur du parcours de Michel Vaujour : "Cela commence très tôt : quelle liberté s'octroyer, quand on est issu d'une famille populaire et qu'on refuse de prendre le chemin de soumission qu'a suivi son père ? Puis, pendant les longues années d'incarcération en Quartier de Haute Sécurité (QHS) : comment se libérer mentalement pour résister à l'enfermement physique ? Surtout, au moment où il se rend compte que les choix qu'il a faits l'ont conduit à s'enfermer lui-même : comment se libérer de soi et des valeurs de son " milieu " ? comment, en d'autres termes, se " déconditionner " pour reprendre la " vie normale d'un être humain ", comme il dit. La grande question de Michel Vaujour – qui me concerne et qui concerne tout le monde, je crois – est donc : comment se libérer ? Mon film décrit un parcours initiatique ; la libération est son fil rouge, et ordonne tous les choix formels que j'ai faits." Elle note par ailleurs : "ce film m'a renvoyé à une multitude de questions qui pourrait se résumer autour de deux interrogations : qu'ai-je fait de ma vie et de ma liberté pendant ces 27 années où Michel a été emprisonné ? Ai-je été à la hauteur de la vie qui m'a été donnée ?"
Contrairement à la plupart des documentaristes qui donnent la parole à de nombreux intervenants, Fabienne Godet a décidé de se consacrer essentiellement à Michel Vaujour. Elle justifie ce choix : "Le cinéma me donne cette liberté : celle d'un film moins classique, moins formaté dans sa durée, qui n'a pas à confronter des points de vue différents au nom d'une soi-disant objectivité qui est souvent une imposture totale ! Je ne crois pas plus à l'exhaustivité : à vouloir tout dire, on ne dit plus rien du tout. J'ai donc pris la décision de ne garder, des 60 heures de rushes dont je disposais, que celles qui relèvent de la dimension existentielle. Et je n'ai conservé, parmi les témoignages que j'avais recueillis, que ceux où Michel était présent, et qui traitent donc autant de son passé que de ce qu'il est devenu."
Le film est dédié à Jamila, l'épouse de Michel Vaujour, qui a été condamnée à de la prison ferme pour avoir tenté de le faire évader à deux reprises (elle a été libérée en 1998). "J'ai pris l'initiative de cette dédicace car c'est Jamila qui par son engagement - dont elle a payé le prix fort - a permis à Michel d'être aujourd'hui parmi nous", précise la réalisatrice. "C'est elle qui a ouvert les portes et qui lui a permis de changer, de s'ouvrir à une vie " normale ". Sans elle, je n'aurais jamais rencontré Michel, il n'aurait jamais pu se confier àmoi. Je lui dois en quelque sorte ce film."