L'intention de départ de Juan José Lozano était simple : faire un film pour défendre la liberté de la presse en Colombie, qui est l'un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes. "Il y avait urgence, car l'émission d'Hollman devait arrêter six mois plus tard, ce qui nous obligeait à tourner vite, confie le réalisateur. En fait, Hollman m'intéressait non seulement en tant que le journaliste courageux et engagé, mais aussi – et surtout ! – en tant que père de famille, époux, qui vit les tracas de la vie quotidienne. Le tournage s'est déroulé à un moment charnière de sa vie, quand il comprend que tôt ou tard les pressions constantes vont l'amener à choisir entre son engagement pour son métier et celui, non moins important, pour sa famille. Pendant le tournage, le climat était également très tendu à cause des élections régionales en Colombie."
"C'est un film sur la vie d'un homme, d'un homme réel, poursuit le cinéaste. Elle se déroule en Colombie, et dans ce sens c'est aussi une histoire sur la Colombie, mais cette histoire pourrait se dérouler, avec des variantes, dans beaucoup d'autres pays où les journalistes subissent des pressions de toutes sortes. De mon point de vue, Témoin indésirable n'est pas seulement l'histoire d'un journaliste, c'est aussi une interrogation sur notre rôle de citoyen et le concept d'engagement qui tend à perdre de son sens."
L'idée de Témoin indésirable est venue à l'esprit de Juan José Lozano en 2006, sur le tournage de Jusqu'à la dernière pierre, un documentaire sur une communauté de paysans dans une zone de guerre en Colombie. "J'avais besoin d'images d'archives sur les combats survenus dans cette zone, mais je me suis heurté à une triste réalité : les patrons des journaux télévisés avaient décidé de ne plus envoyer de reporters dans les "zones chaudes", se souvient le réalisateur. Il n'y avait aucune image d'archives disponible sur les exactions commises durant les dernières années. La guerre avait littéralement disparu des écrans de télévision. Mes recherches m'ont alors conduit chez Hollman Morris, un journaliste avec qui j'avais collaboré pendant mes années d'études et qui s'avérait être le seul à disposer d'images sur le conflit et les atteintes aux droits de l'homme en Colombie. Hollman m'a ouvert ses archives, m'a offert les images dont j'avais besoin et m'a montré des épisodes de son émission hebdomadaire Contravia. Quelques mois plus tard, il m'a écrit pour m'annoncer que son émission n'était plus diffusée faute de financement. J'ai décidé alors de raconter son histoire."
Juan José Lozano et Hollman Morris ont rapidement établi leurs conditions de travail : celles du réalisateur étaient d'avoir accès à tous les moments de la vie du journaliste, sans conditions, ni restrictions. Et celles de Hollman Morris étaient de pouvoir garder le contrôle de la situation sur le terrain, pour ne pas mettre l'équipe de tournage en danger. Le succès de cette "cohabitation" a résidé dans le respect absolu de ces conditions, ainsi que dans une confiance réciproque totale.
De nationalité suisse et colombienne, Juan José Lozano, né en 1971, s'est formé à l'Université Nationale de Colombie. Producteur et réalisateur indépendant, il a tourné de séries documentaires de télévision pour le Ministère de la Culture colombien entre 1994 et 1998. En 1998, il s'installe à Genève où il réalise plusieurs films engagés touchant aussi bien à sa ville d'accueil – l'immigration et l'intégration des jeunes étrangers à Genève dans Un train qui arrive est aussi un train qui part, 2003 –, qu'au conflit armé en Colombie, dont il décrypte les effets sur la population (Le Bal de la vie et de la mort, 2001 ou Jusqu'à la dernière pierre, 2006). Parallèlement, Juan José Lozano travaille comme vidéaste sur des projets scéniques d'Omar Porras ou de Marielle Pinsard, et avec Philippe Macasdar au Théâtre St-Gervais à Genève. Il se consacre également à l'écriture. Son premier roman, Aquí no pasa nada est à paraître prochainement.
Journaliste colombien, Hollman Morris couvre depuis plus de 15 ans le conflit armé interne en Colombie, avec une attention toute particulière portée sur le thème des droits de l'homme. Depuis 2002, il est le producteur et réalisateur de l'émission Contravia. À travers des dizaines de reportages de 25 minutes, Hollman Morris a filmé les plus graves atteintes aux droits de l'homme en Colombie, ce qui forme l'une des archives vidéo les plus importantes sur l'histoire récente du pays. L'émission a été soutenue par l'Union Européenne, par l'Open Society Institute, par le Canada, par le Royaume-Uni et par les Pays-Bas. Il a reçu en novembre 2007 l'un des prix les plus prestigieux (au monde) : le Human Rights Watch Defender Award.
Témoin indésirable a été présenté dans plusieurs festivals : le Festival International du Film Visions du Réel, à Nyon, où il a reçu le Prix Suissimage / SSA et le Prix du Meilleur film suisse de création, le Festival de Locarno, le Festival de Toronto, le Festival de Leipzig ainsi que le Festival de Rotterdam.