A sa sortie en 1991, JFK a suscité une vive polémique. Walter Cronkite, célèbre journaliste télévisé américain qui a rythmé l’information dans les foyers US pendant plus de vingt ans (et qui apparait sous formes d’archives dans le film), a déclaré au critique américain Roger Ebert : "il n’y a pas une once de vérité dans ce que je viens de voir". En fait, on a beaucoup reproché à Oliver Stone d’avoir intentionnellement rajouté des faits, et malmené les faits historiques. Il faut dire que la thèse défendue par le cinéaste et autres théoriciens du complot est pour le moins provoquante : JFK a en fait été victime d’un coup d’état, dans lequel le Vice-président, Lyndon B. Johnson, aurait trempé, dans le but avoué d’avoir les mains libres pour déclencher la guerre du Viêtnam. Pour tenter de se disculper de ces accusations, Stone a d’ailleurs publié peu après la sortie du film une version annotée de son scénario, où il justifie tous ses rajouts.
Mais, le plus important sans doute, est que le film eut un vrai impact politique. En décembre 1991, Stone projeta son film aux membres du Congrès. Cela a conduit à une loi votée en 1992 : "l’Assassination Materials Disclosure Act" ; une loi visant à déclassifier –et donc rendre public- certains documents relatifs à l’assassinat de JFK. C’est une avancée très importante. Une enquête sur l’assassinat et les investigations menée par ce même Congrès, entre 1976 -1979, avait établi une "probable conspiration dans l’assassinat de JFK" selon les propres termes de son rapport, et avait demandé au Département de la justice de pousser plus avant les investigations…Demande qui est restée lettre morte.
Derrière cette appellation se cache en fait une association des faits réels à de la fiction, sans pour autant prétendre à une exactitude historique rigoureuse. Il s'agit surtout d'une forme très américaine de confrontation avec leur passé, où les personnes et les événements sont représentés la plupart du temps dans leur fonction de personnages symboliques ou d'événements clés de l'Histoire américaine. Ces dernières années, cette forme de fiction a notablement gagné l'univers du petit écran. Au cinéma, le plus grand représentant de ce genre est sans doute Oliver Stone justement, qui a développé dans ses fictions un panorama historique de l'Histoire de son pays. Citons à ce titre sa trilogie sur la guerre du Viêtnam, composée de Platoon, Né un 4 juillet et Entre ciel et terre. C'est aussi, en 1985, Salvador, où James Wood et James Belushi sont plongés dans les horreurs de la guerre civile, tandis que le pouvoir en place, qui fait régner ses sinistres escadrons de la mort, est largement subventionné par les Etats-Unis, en pleine Guerre Froide. Entre autres mérites, JFK a déclenché aux Etats-Unis une vague de biographies semi-documentaires, parmi lesquelles on trouve aussi beaucoup de théories de la conspiration.
Dix ans après la sortie du film, Oliver Stone décida de sortir, à l’attention du marché vidéo, une version Director’s Cut de son oeuvre. D’une durée initiale de 189 min, celle-ci fut portée à 206 minutes. Dans les 17 minutes ainsi rajoutée, les rajouts suivants ont été faits :
Aussi bien dans la réalité que dans le film, particulièrement lors du procès intenté par Garrison à Clay Shaw, le film amateur 8mm tourné par Abraham Zapruder sur l’attentat joue évidemment un grand rôle. Propriétaire d’un magasin de vêtements, Abraham Zapruder et sa secrétaire décidèrent d’aller filmer le 22 novembre 1963 le passage du cortège présidentiel, à Dealey Plaza. Le film a fourni aux enquêteurs un élément qui existe rarement dans un crime : des images qui montrent les faits et permettent de voir ce qui s’est passé. Dans les jours qui suivirent l’attentat, beaucoup pensaient avoir vu le film de Zapruder. Pourtant, on n’en diffusa que des photos puis de courts extraits. Zapruder vendit son film au célèbre magazine Life, pour la somme de 250.000 $. Les images furent remises à la commission Warren, du nom de celui qui la présidait (président de la Cour Suprême des USA), chargée d’enquêter peu après l’assassinat de JFK. Le film resta dans ses coffres jusqu’en 1969, lorsque Jim Garrison obtint leur communication à l’occasion du procès intenté à Clay Shaw. De manière étonnante, l’intégralité du film de Zapruder ne fut en réalité diffusée à la TV qu’en 1975. Pour l’anecdote, toujours historique, il existe un autre film, dit « film Nix ». Nettement moins connu que celui de Zapruder, ce film, assez court, fut tourné au centre de Dealey Plaza, face au monticule gazonné et à la barrière de bois qui le surplombe. Un agrandissement et une restauration des images effectuées par le FBI semblent montrer un homme derrière cette barrière, épaulant ce qui pourrait être un fusil...
Tout commence en 1987. Zachary Sklar, journaliste et professeur de journalisme à la Columbia University Graduate School of Journalism, rencontre Jim Garrison, et parvient à le convaincre d'écrire avec lui un manuscrit dans lequel Garrison se remémore son travail sur l'enquête. De cette collaboration naîtra l'ouvrage On the Trail of the Assassins, publié aux Etats-Unis en 1988. Un exemplaire du livre parvient entre les mains du réalisateur Oliver Stone. "Le meurtre de Kennedy était un des événements de signal de la génération de l'après-guerre, ma génération" dira plus tard le cinéaste, qui sort enthousiaste de cette lecture. Il achète lui-même les droits d'adaptation de l'oeuvre, pour un montant de 250.000 dollars. Après avoir longuement rencontré Jim Garrison, et non désireux de mettre en scène un biopic, Stone s'intéresse à un autre ouvrage signé Jim Marrs : Crossfire: The Plot That Killed Kennedy. Bien que le travail du House Select Committee on Assassination, qui rendit un copieux rapport en 1979, soulevait bon nombre de pistes non explorées ou négligées par la commission Warren, c'est pourtant cette dernière qui fait encore autorité. Comme il l'expliquera plus tard, Stone voulait alors faire tomber le mythe de la commission Warren. En 1989, alors qu'il est en phase de pré-production de son prochain film, Les Doors, Stone propose à la Warner de faire un film sur JFK. Le PDG de la Major, Terry Semel, accepte. Doté d'un budget de 20 millions de dollars, qui sera revu à la hausse par la suite, Stone écrit le script avec le journaliste Sklar. Son ambition : faire un film d'investigation, dans la veine d'un Z de Costa Gavras.
Le rapport de la commission Warren, largement combattu par Jim Garrison dans le film (et dans la vraie vie...), affirme que des trois balles tirées sur le cortège présidentiel, la seconde a traversé les corps de kennedy et Connally, le gouverneur du Texas : elle a frappé le président dans le dos, est ressortie par la gorge puis a traversé son torse, le poignet et la cuisse du gouverneur, finissant sa course dans les plis de son pantalon. Cette balle a été retrouvée presque intact, posée sur un chariot de l'hôpital Parkland...Une théorie et une trouvaille invraisemblable, ce qui lui a valu le surnom de "balle magique". En fait, aussi saugrenue soit-elle, cette théorie a surtout le mérite de conforter la thèse officielle : le tireur unique. Oswald n'aurait pu tirer quatre balles dans le temps de l'attentat, et il fallait que toutes les blessures soient causées par deux balles seulement. "Balle magique" aussi en raison de son invraisemblable trajectoire : touchant Kennedy de haut en bas dans le dos, elle remonte vers sa gorge, se déplace vers la droite de plusieurs centimètres et frappe Connally en trois endroits, après avoir une nouvelle fois modifié sa trajectoire...La commission Warren a pourtant retenu cette version, allant jusqu'à écrire : "il n'est nécessaire à aucune conclusion essentielle de la commission de déterminer quel est exactement le coup qui a frappé le gouverneur Connally". Pire, en dépit de toutes les contestations des experts et les multiples expériences qui prouvaient le contraire, le House Select Committee on Assassination (HSCA) a pourtant retenu dans ses conclusions en 1979 la théorie de la "balle magique"...
Pour endosser le rôle du District Attorney de la Nouvelle Orléans, Oliver Stone n'a pas choisi dès le départ Kevin Costner. Il envisagea au départ Mel Gibson, qui déclina l'offre, puis Harrison Ford, qui fit de même. James Woods, qui avait tourné avec Stone Salvador en 1986, était de son côté très intéressé pour jouer le rôle-titre. Une collaboration qui n'a pu se faire pour des raisons de profondes divergences artistiques : Woods estimait que le film devait clairement s'orienter vers un Biopic de Garrison, tandis que Stone avait au contraire une idée bien précise dès le départ; celle de faire de JFK un film d'enquête, comme un Thriller. Les noms de Jeff Bridges et Nick Nolte circulèrent aussi mais rapidement écartés : Bridges parce qu'il fut jugé pas assez Bankable; et Nolte fut jugé trop vieux. Finalement, Stone envoie le script à Kevin Costner, qui dans un premier temps ne se montre pas plus intéressé que cela. C'est sur l'insistance de son agent, le célèbre Michael Ovitz, que Costner consent à jouer dans le film. Un choix largement facilité par le triomphe de l'acteur - réalisateur avec Danse avec les loups, couronné par 7 Oscars. Pour préparer son personnage, Costner a rencontré Garrison avec qui il s'est longuement entretenu, y compris ses adversaires. Il confia même s'être longuement préparé pour la séquence finale du procès, où l'acteur a de longs monologues. Mais une préparation...dans sa piscine, tandis que sa mère lui corrigeait le script !
Le tournage s'es effectué sur une période de 72 jours. Emmenant ses équipes à Dallas, Oliver Stone a tenu à tourner à Dealey Plaza, le lieu même de l'assassinat. Les producteurs, Arnon Milchan en tête, dépensèrent pas moins de 4 millions de dollars pour reconstituer avec un soin maniaque du détail les lieux tels qu'ils étaient le 22 novembre 1963. Ils furent en outre obligé de payer une grosse somme d'argent à la municipalité, pour payer les agents de police chargés de détourner la circulation et fermer les rues avoisinantes pendant trois semaines. Stone avait prévu de tourner la séquence de l'assassinat sur dix jours. Selon ses propres termes dans le commentaire audio de la version Director's Cut du film, le tournage de cette scène fut la période la plus difficile de sa vie, même si ce moment fut l'un des plus forts vécu par lui. Sur le tournage proprement dit, il s'agisait évidemment de ne pas rater la scène. C'est pourquoi le directeur de la photo, Robert Richardson, utilisa pas moins de deux caméra 35 mm, cinq caméras de 16 mm, et 14 bobines. En 1993, Dealey Plaza fut sanctuarisé par les autorités, sous le terme "National Historic Landmark". Tous les bâtiments, la route, et même la palissade de bois ont été gardés, comme à l'époque, en mémoire de l'assassinat de JFK.
Donnant sur le carrefour de Dealey Plaza, la Texas School Book Depository est un endroit capital dans l’assassinat de JFK. En effet, selon la version officielle retenue par la commission Warren, c’est de la fenêtre du 5e étage de ce bâtiment que Lee Harvey Oswald aurait tiré trois balles avec son fusil Mannlicher-Carcano, accréditant la thèse du tireur isolé. Dans un souci d’authenticité, la production a voulu tourner dans le bâtiment. Après d’âpres discussions, la direction accepta, mais fixa des conditions draconiennes : tournage uniquement à des heures précises en journée, pas plus de cinq personnes de l’équipe du film en même temps dans le bâtiment. Elle demanda en outre l’exhorbitante somme de 50.000 $ pour laisser la production tourner devant la fenêtre même où Oswald aurait tiré. Et pour transformer l’immeuble comme en 1963, il a fallu négocier cinq mois supplémentaires. Ce souci d’authenticité a également poussé la production à tourner dans le garage de la police de Dallas, à l’endroit même où Oswald fut tué à bout portant par Jack Ruby 48h après son arrestation.
Histoire sans doute d'entretenir un peu plus la confusion entre faits historiques et reconstitution, Oliver Stone a fait appel à certains vrais protagonistes de l'Histoire. A commencer par Jim Garrison lui-même, qui joue, ironie, le rôle de Earl Warren, le président de la Cour Suprême des Etats-Unis et président de la commission qui porta son nom, qui rendit ses conclusions infâmantes que Garrison a combattu. Après avoir vu sa vie brisée par les multiples procès auxquels il dû faire face ainsi que les obstacles délibérément mis par l'Administration sur sa route, Garrison s'est éteint en 1992. Autre vrai protagoniste de l'affaire, que l'on aperçoit au début du film dans le café où Garrison se rend pour voir le bulletin d'information sur l'assassinat de JFK : Perry R. Russo, témoin clé qui affirma avoir assisté à une discussion entre Clay Shaw, David Ferrie et Lee Harvey Oswald. Accoudé au bar, c'est lui qui lance qu' "il faudrait donner une médaille à celui qui a assassiné Kennedy". Il y a aussi le cameo de Jean Hill, dans le rôle d'une sténographe enregistrant la déposition de...Jean Hill ! Décédée en 2000, elle fut un témoin occulaire capital à Dealey Plaza : c'est elle que l'on voit dans le film de Zapruder, habillée d'un manteau rouge, tandis que la berline présidentielle passe devant elle et que Kennedy a déjà reçu une balle en travers de la gorge.