" Tout pour être aimé et pourtant ... Boy Meets girl aussi beau soit-il ne subsiste que par éclats. Les vacations et errances d'Alex sont confuse, sans but, faites de vérités fulgurantes certes mais pourquoi ? Je n'ai pas le plaisir de l'espionnage maladif, je suis au final perdu à défaut d’être éperdu, film contagieux et poétique mais harassant ! "
Ainsi se résumait ma critique de ce film, il y'a six ans ! Les choses changent, pas comme on le pense, d'une certaine manière je ne bouge pas un mot à ma première incompréhension, j'en ajoute à l'inverse plus au désœuvrement que j'ai cette fois ici perçu. L'histoire de ce jeune homme est celle d'un type qui n'en a plus, qui s'imagine que tout est couru d'avance, que tout est foutu ... Il rêve cependant encore, il ne fait d'ailleurs plus que cela ! La magnifique séquence dans la cuisine, insiste à ravir sur le contour de cette discussion entre ses deux jeunes gens perdus devant ce monde qui se délite à leurs sentiments et perceptions.
Avant ceci, le premier long métrage de Leos Carax regorge déjà des ses envies, déborde à foison d'images inoubliables et d'une créativité qui sème son accoutumance à cette même idée de la création, de son geste sublime mais vu comme inutile ... Tout du moins face à l'inévitable. Un mot, pour ce noir et blanc, ravissant et si justifié dans cette cadence ou l'obscurité rencontre sa part de lumière, dans un chassé croisé de déambulations intrinsèques de son condensé à l'existence même de cette fascination pour sa brutale transposition. Carax, d'emblée défile le cours de son périple dans une image pas très net, là ou le visage et le corps de ses protagonistes deviennent encore plus troublant !
Le son aussi s'ébruite dans une drôle de saccade. De la petite voix incompréhensible dans cette exode en bagnole, ou l'on jette après menace du coup de fil toutes les affaires à l'eau, au bruit de la bouilloire dans cette cuisine, encore elle, qui couvre les phrases qui s'accorde pour autant comme jamais. Le chapitre n'est pas non plus très clair dans cette frivole conduite, elle se marque de théâtralité dans la découpe de ses évènements qui se termine dans une moult révolte face à elle même et sa contradiction. La musique est là, pour tout remettre droit, la seule des parenthèses qui tiens ici debout, envers et contre tout, enfin presque ... " Je sui venue te dire que je m'en vais ... "
J'évoque les affaires à la flotte des débuts, il n'y a pas que ces dernières qui si retrouvent puisque la violente dispute de ses deux jeunes hommes s'achemine elle aussi avec la chute de l'un d'entre eux dans ses eaux obscures. Pourtant tout ne commence pas dans le heurt, les retrouvailles semble à première vue celle des confidences, d'une certaine complicité dans cette marche au bord du fleuve et de la route qui fulmine toutefois vers une bagarre ou le visage d'Alex, notre personnage titre se déforme sous l'évidente nouvelle donne de cet affrontement soudain ! L'image, fait le travail pour capté une attention sur ses lignes, ses traits, sur la ganache d'un jeune Denis Lavant immense, déjà !
On virevolte vers un autre visage et non des moindres, celui de Mireille, Mireille Pérrier, actrice magnifique, elle aussi. L'apparence stoïque de sa position tranche avec ce regard, qui semble hagard et qui au fond brule éperdument derrière un brouillard qui ne dissimule pas tant que ça son feu. C'est de sa voix, tout du moins, qu'elle sort en apparence de son inertie. " - Tu vas ou ? " C'est ce qu'elle dit, à l'intention de son compagnon, qui la quitte, non sans petites manies, qui m'a de suite évoqué Robert Bresson, dans sa manière équivoque de collecter les infos dans le moindre petit détail. La musique et la cigarette interviennent tout juste avant cette danse/transe de cette dernière qui prépare ses premières sorties de pistes pour prendre la tangente, à son tour. L'amour qui se termine, dans cette interphone qui livre sa poésie si virulente de dégout, de détestation de cet ensemble à deux replonge pour un temps le chavirage intense de cette jeune femme ...
On continue en même temps de cette séparation à découvrir le parcours de ce jeune homme qui écris sur les murs peu épais de sa chambre, planque d'ailleurs son récit derrière le tableau qui énumère les dates clés de sa vie. Sa - nouvelle - fuite, après avoir cogné contre ce même mur lors de son intention de saisir sa machine, aussitôt annihilé par les cris du voisin va dès lors recadencer sa démarche vers une autre sorte de narration, non sans risques ... Les projectiles nous le disent, sans perdre de temps.
Le casque qu'il visse sur sa tête, avant de remonter le pont ( avec Bowie, comme un avant gout de ... ) dans une contemplation calme tranche avec la danse de Mireille qui livre enfin toute son expertise des claquettes qu'elle distingue à sa manière, dans une joliesse qui tire vers une forme d'extase. La peine du réveil, à 6h37, ou 39, selon la conversation téléphonique du père d'Alex avec ce dernier termine cette pulsion de jeunesse, de vie sans attente particulière. La mort, direct de l'échange qui tire des " vapes " ce même Alex, dans ses promesses faites dirige la conduite vers une autre dérive. Le vol de disque, de Barbara, dont on comprendra plus tard le sens, et la fuite, encore, tente en vain de s'échapper à ses termes, à ce demain qu'on éloigne sans cesses ...
La réception huppée, de l'incruste, tout comme de la présentation froide qui en est faite de cette société qui s'ennui, qui la trompe dans ce frauduleux partage est un rappel à l'ordre de la conduite à tenir, ainsi et pour toujours à l'avenir. Clairement, dans un premier temps, ce moment m'affecte de la même manière, encore plus que dans le souffle consentit par cette épluche d'une jeunesse qui n'a plus rien à attendre ... De silence, toutefois, vient un signe qui va redonner du corps à cette envolée de style si peu anodine.
La traduction sur le canapé du muet, de sa nouvelle référence à ce dernier, après la mention lors de cette même séquence de l'interphone déjà expliqué amène un peu d'entrain dans le marasme de son ambiance morbide ! La timidité et la peur son confondu par le cran de l'audace érigé en Art, en contre-culture, en espace de vie sur le morose des conditions vénéneuses de ces attentes qui m'indiffère et parfois, j'avoue, m'exaspère ! Car oui, Carax fait long, à juste titre, mais ma sensibilité ne coïncide néanmoins pas avec le principe que j'admire, je le redis.
La rencontre de ses deux verres brisés, la porte qui s'entrouvre, le coup de téléphone dans la pièce aux pleurs de bébés, ainsi de suite n'ont pas non plus mes faveurs ! La suite par contre ...
" Vous êtes le genre d'invité que l'on retrouve toujours dans la cuisine. " Cette parole, que j'atteste, résume mon adoration pour cette partie du film. Elle est celle qui me reste encore si vif au moment d'écrire ses lignes. Le souvenir de la tasse, de ce premier moment ou le vernis s'écaille, donne à voir plus clair dans l'instant qui s'apprête à advenir, de sa grandeur manifeste. L'apparition de Mireille, cheveux court et lunette de soleil dans ce lieu de cinéma, oui la cuisine est un endroit incroyable pour faire un film, m'a subjugué !
Tout la discussion autour de ses vies qui se rate, dit clairement et ceux pour la première fois dans ce film qui prend un temps fou pour tout m'a littéralement envouté, de a à z. Il et elle se racontent, chacun leurs tours, l'un à l'autre, leurs errances, les abandons qu'ils vivent, le manque qu'ils ressentent. De sa peur à lui, qui l'empêche de vivre pleinement, de la sienne à elle, qui la ronge et la pousse au pire, témoigne d'une perdition en partage, une scène si belle à voir et à entendre. Barbara, dont Mireille en est un ersatz, si je n'ose dire, est d'ailleurs une nouvelle fois chanté par celle-ci ... La lumière sur son visage à elle, le trouble du contre jour sur le sien, à lui, bouleverse l'instant, que la déclaration qui suit détruit, une passion mot sur mot qui résonne de ferveur et qui la tue dans le même geste.
Le silence, la fuite, un ultime flip, pour sourire, un sacré sourire d'ailleurs, avant l'inéluctable ! Un dernier appel qui ne débouche sur rien d'autres que du vide, une eau qui coule, de la baignoire, mais dont les taches qui macule le sol n'ont rien de transparentes, ni d'immaculées. Un effondrement sous une nuit d'étoiles.
Boy Meets Girl est un film très beau, qui raconte l'imperfection, dans cette imprécision magique. Le film tire le portrait de l'ennui, la perte de repère et de gout pour une vie qui n'est pas aussi palpitante que les songes de rêves flamboyants ! Un film lourd, pesant, avec des légèretés somptueuses. Des répétitions, avant l'incroyable suite ... Carax entrouvre une boite ou les images, le style, sa splendeur en atteste une attention au texte, une torpeur pour un mal-être qui rejaillit dans le contexte d'une mise en scène fleuve et bousculée par le terne et la fièvre. Un mariage sans alliances qui confère une drôle de particularité à ce film qui déchante et enchante, dans une seconde proche et si différente.