Dans une petite ville du Texas, appelée Central City, un sympathique policier, Lou Ford, se meut tout à coup en serial-killer inquiétant. Telle est, en gros, l'intrigue que nous propose The Killer Inside Me, adapté du roman original de Jim Thompson, auteur réputé pour son incomparable noirceur, et dont l'oeuvre a déjà été transposée au cinéma à plusieurs reprises: Alain Corneau ayant réalisé Série Noire, Bertrand Tavernier Coup de Torchon ou encore Stephen Frears avec Les Arnaqueurs, tous d'après des écrits de Jim Thompson.
Tout le film de Michael Winterbottom repose en fait sur un intéressant paradoxe. The Killer Inside Me nous parvient sous une allure de charmante comédie romantique aux airs d'antan, à en juger par son générique rétro' et désuet, les chansons texanes joyeuses qui le traversent, le lieu dans lequel il s'ancre: une apparemment inoffensive petite commune appelée Central City. Mais d'un autre côté, cette adaptation de Jim Thompson nous parle sans concessions de la barbarie humaine, de la monstruosité dont est capable l'être humain, nous montre des femmes au visage tuméfié et que l'on massacre à grand renfort de coups de poings assenés, au choix, dans le ventre, dans les dents, dans les yeux,... The Killer Inside Me paraît soucieux d'entretenir ce paradoxe jusqu'au bout: à la fin du film, Lou Ford tue définitivement sa petite amie prostituée, met le feu à sa maison en assurant de telle sorte sa mort ainsi que celle de tous les policiers et gardiens de l'ordre qui se retrouvent alors dans sa maison. Sur fond de flammes envahissant la propriété de Lou Ford en même temps que l'écran, on entend une sympathique petite mélodie fraîchement venue du Texas, comparable à celle qu'on entendait au début. On voit apparaître "The End" au milieu de l'écran, orientant le film vers une facture bien-pensante et classique, en contradiction avec la terrible noirceur de son propos, au thème de la monstruosité qui y est traité. Bref, pour le dire avec d'autres mots, The Killer Inside Me paraît soucieux d'entretenir un constant paradoxe entre sa forme et son fond.
C'est un paradoxe que l'on retrouve à l'image du personnage principal de cette histoire, incarné par l'impressionnant Casey Affleck. Il y a un passionnant paradoxe entretenu pendant les 105 minutes qui constituent la durée du film, entre sa plastique juvénile et la terrible monstruosité de ses actes. Ce jeune policier à l'air enfantin et à la voix nasillarde, toujours préoccupé de la longueur de ses pantalons et de la qualité de ses cravates, qui vous propose gentiment, même si vous arrivez chez lui de façon impromptue, de boire une tasse de café et de partager son modeste repas - en l'occurrence un oeuf au plat; et ce type qui tue individu après individu en faisant preuve d'une froideur abyssale; est-ce vraiment la même personne? On peine à y croire. Et pourtant si, c'est bel et bien la même personne: Lou Ford. Monstre innommable aux allures de golden boy irréprochable, Lou Ford s'inscrit dans un tout un long sillage d'antécédents identiques. On pense aux jeunes hommes de Funny Games, qui persécutent cruellement une famille autrichienne, tout en respectant en tout points les codes de la politesse, et faisant preuve d'un très grand soin dans leur toilette; le Lou Ford de The Killer Inside Me évoque aussi inévitablement le Patrick Bateman d'American Psycho; on pense à Jean-Claude Romand - faisant croire pendant dix-huit ans à sa famille qu'il est ce qu'il n'est pas en réalité - avant de tomber dans une impasse meurtrière, tuant toute sa famille, son épouse, ses enfants, ses parents et même son chien (et qui a inspiré un livre à Carrère, et à un film avec Nicole Garcia, L'adversaire), on pense évidemment à la notion de "banalité du Mal" exprimée par la philosophe Hanna Arendt à propos d'Eichmann, lors de son procès à Jérusalem... Bref, on pense à un tas de choses. Le thème est bien sûr éculé, a été vu, revu, rerevu; mais avouons qu'il est toujours digne de la même fascination. C'est en fait le thème de la schizophrénie, du double, le thème du Docteur Jedyll et du Mr. Hyde qui se cache en dessous et qui se réveille la nuit.
En tout cas, de par ce paradoxe sur lequel il semble être tout entier bâti (tant au niveau de son personnage, mais même le film en lui-même, puisque, comme dit, la forme et le fond sont opposés), The Killer Inside Me trouble, dérange, met mal à l'aise. De par ses chansons texanes insérées avec bonhomie dans la croûte du récit, de par le soin accordé à la réalisation et à la photo, le film nous procure à de certains moments du plaisir, de l'agrément. Plaisir dû aussi en grande partie à la présence de la bombe sexuelle latino-américaine Jessica Alba, séduisante à un degré insondable, désirable à souhait avec son joli minois, ses postures lascives, sa poitrine généreuse, ses beaux yeux étincelants, sa peau que l'on devine douce et chaude au toucher, ses décolletés et son soutien-gorge délibérément sexy. Mais le plaisir que l'on peut ressentir lors de ces moments-là et à cause de/ grâce à ses éléments-là se trouve vite sérieusement affaibli par la terrible noirceur du propos, des scènes d'une rare violence, celles où Lou Ford alias Casey Affleck passe à l'acte meurtrier, mais aussi celles où il botte le train de Jessica Alba avec sa ceinture, se rappelant, en redécouvrant des photographies laissées dans - de manière significative - un ouvrage de Freud, d'une scène de son enfance marquée par le sadomasochisme et la perversité - à ce moment-là on pense à Elfriede Jelinek et sa pianiste, dans le livre du même nom qui a aussi donné lieu à un film de Haneke.
Pour bien comprendre, prenons une pièce de monnaie. Côté pile, la pulpeuse et désirable bombe latino-américaine Jessica Alba, nommée "femme la plus sexy du monde" par le magasine FHM en 2007, plus belle et sexy que jamais justement. Côté face, la même Jessica Alba, mais cette fois enlaidie, le visage défoncé de coups de poings, qui saigne de partout, la bouche tuméfiée et édentée. Est-ce fascinant ou est-ce dégoûtant? A vous de voir. En tout cas The Killer Inside Me a le mérite de nous fournir matière féconde à réflexion.