J’allais démolir ce film sur tous les fronts, mais après avoir su moyennant quelques recherches que l’histoire était à ce point vraie, je vais me raviser d’en arriver jusque là, et plutôt le démolir mais autrement. Billy Beane, manager d’un club de baseball va se retrouver face au défi de devoir reconstruire une équipe compétitive avec un budget qui ne le permets pas suivant des méthodes de recrutement classiques. Il va alors se lancer dans une vision révolutionnaire pour choisir les joueurs dont il aurait besoin à différents postes, en tentant une sélection osée et extrêmement risquée en vue d’un exploit inouï. Faire l’apologie de la stratégie de la sabramétrie (nouveau mot que j’ai découvert) est une entreprise louable, car ça dénonce entre autres les injustices dont sont victimes grand nombre de joueurs professionels sous-estimés, méprisés à tort et motive à contrebalancer un marché de transferts trop tiré par les stars en vue. Par contre vanter les mérites d’une méthode de management autoritaire et inexorable sans en dévoiler la face cachée, c’est laisser l’objectivité de côté et donner raison à des pratiques extrêmement lointaines du véritable esprit de leadership. En effet ce fameux manager, joué par Brad Pitt, s’exaspère d’avoir autour de lui un personnel old school, qu’il n’arrive pas à convaincre -il ne le tente même pas réellement d’ailleurs-, alors que lui même utilise des méthodes de management archaïques (on est quand même en 2001). Elles sont basées sur la prise de décision ferme, à peine laconiquement justifiée mais certainement pas contestable, basées aussi sur des discours minimalistes flirtant avec l’insolence, je ne peux à ce titre qu’être profondément choqué de cette
manière expéditive de virer ses joueurs, présentée fièrement par la réalisation comme étant juste, efficace et convenable, laissant insinuer que le faire avec plus de délicatesse serait davantage
une forme de torture infligée à son entendeur, et enfin basées sur un manque criant d’écoute et d’ouverture au débat avec ses détracteurs. Je ne peux que me demander comment cette méthode a pu fonctionner avec de tels comportements, si tout le monde était à ce point contre lui, car de ce que j’ai vu, Billy Beane se contente de formuler des ordres directs et indécents, de s’obstiner à l’encontre de tous, en négligeant totalement l’aspect humain, pas de quoi susciter le moindre enthousiasme. Convaincre ne l’intéresse pas, il ne fait quasiment aucun effort pour déclencher un élan de mobilisation collective en faveur de sa cause, du coup personne n’est vraiment solidaire avec lui, ni entraîné par son optimisme, ce n’est que dépité que le staff technique se lance malgré lui dans ce projet laborieux, et ce n’est que psychologiquement détruits que les joueurs les y accompagnent. Quand l’essence même du sport s’appuie sur des valeurs essentielles comme le respect de son opposant et le travail en groupe, et que dans telles structure la stabilité et la solidarité en coulisse sont primordiales pour espérer obtenir de grands résultats, c’est à se demander si des maillons manquants n’ont pas échappé à ce scénario. Car au contraire, tout est étrangement centré autour du personnage joué par Brad Pitt, on le suit partout et on ne voit que lui, à croire que le reste du staff n’a aucune espèce d’importance dans la réussite de son projet. À la limite son assistant, jeune naïf qui partage totalement sa philosophie et oeuvre à lui dénicher des statistiques et joueurs à fort potentiel, échappe à cette règle, il est le seul. Qu’en est-il de l’entraîneur ? Qu’en est-il des joueurs ? À part prendre des mauvaises décisions, à part n’avoir réussi à n’en prendre que deux qui sont bonnes, l’une parce que Billy Bean l’y a forcé en le privant de son titulaire favori, l’autre parce qu’il a décidé de se raviser et écouter ce même Billy, nous n’assisterons jamais à la moindre démarche notable démontrant le rôle du coach dans cette extraordinaire réussite, ni même à ne serait-ce qu’une petite prise de parole constructive de sa part. Quant aux joueurs, à chaque fois qu’on a espoir de plonger dans leur intimité familiale ou dans leur vie au sein du groupe, histoire de comprendre leur blocage psychologique puis le moyen qu’ont trouvé les coéquipiers pour s’entraider à le surmonter, et se motiver les uns les autres, surgit systématiquement Brad Pitt pour nous prier de quitter les lieux, et nous rappeler qu’il faut focaliser sur lui, et uniquement sur lui. Il est partout ce mec, et il n’y a que sa personne qui compte ! Du coup tous les joueurs sont relégués au second plan, on ne saura jamais ce qui s’est passé en coulisse pour déclencher leur déclic, ni connaîtra les efforts qu’ils ont entrepris pour se surpasser et devenir aussi transcendants, on n’assistera pas non plus à leur ressenti par rapport aux victoires, ni même à leur frustration après leur terrible échec si proche du but. On n’en n’a que faire d’après cette version des faits, il ne méritent aucunement notre attention car leurs statistiques sont là et c’est tout ce qui importe, donc à quoi bon ? Seul leur rendement compte, hors de question de s’attacher à l’humain. Ce sont de simples pions qu’on recrute et qu’on vire sans scrupule, qu’on essaie de garder si ça marche, dont on se débarasse froidement dès qu’on n’en n’a plus besoin, en négociant leur vente ou achat par téléphone en quelques secondes comme s’il s’agissait d’un vulgaire échange de marchandise insignifiante. Leur mérite en cas de succès, tel que présenté ici, ne leur revient pas, il ne revient pas au coach ou le staff qui les côtoie chaque jour non plus, même pas, le mérite revient au manager qui les a déniché ! Tout simplement. Ça ne vous rappelle rien ? Effectivement, la triste condition du salarié négligé dans une entreprise avide de croissance qui ne reconnait de mérite que celui appartenant aux plus hauts gradés dans la hierarchie. Le problème c’est qu’il est indéniable que le film glorifie cette perception, la plébiscite de par ce qu’il a choisi de nous montrer comme clés du succès, de nous dénigrer comme facteurs humains y ayant contribué, et de nous censurer comme dommages collatéraux occasionnés par cette approche tellement radicale. Il nous dresse la thèse sans son antithèse, se met au diapason du cynisme de son personnage principal, s’y réfugie et refuse d’accorder du temps à quiconque d’autre. Il tente même de nous attendrir, sans succès, en partageant avec nous sa touchante histoire avec sa fille. Le goût pour l’inhumain et l’industrialisation et tellement prononcé que même cette scène censée nous émouvoir est corrompue par un décor hideux en arrière plan constitué de fumées d’usine, conteneurs et camions alignés. Ma note sur « Le stratège » était à la base au plus bas, à tel point qu’il me paraissant très improbable de la relever, elle a été améliorée in extremis au vu de la véracité confirmée d’une histoire qui mérite du coup d’être connue, et au vu des dialogues intéressants contenant pas mal de phrases chocs dont je me souviendrai, sauf qu’au final je ne peux offrir à ce film un titre qu’il ne mérite pas, celui d’oeuvre remarquable.