Actrice exigeante à la voix singulière, Jeanne Balibar est également à l'affiche du Bal des actrices de Maïwenn cette année. Après avoir débuté chez Arnaud Desplechin dans Comment je me suis disputé..., elle a beaucoup tourné avec le maître de la nouvelle vague, Jacques Rivette. Sylvie Testud a quant à elle obtenu le César du meilleur espoir féminin en 2000 pour son personnage violent des Blessures assassines de Jean-Pierre Denis. Les deux brillantes actrices de L'idiot ont déjà joué ensemble dans l'édifiant Sagan de Diane Kurys, en 2008.
Cinéaste, acteur, traducteur, critique et membre du conseil de rédaction de "Trafic", Pierre Léon est un passionné de cinéma, auteur de huit longs métrages dont Octobre en 2004 et Guillaume et les sortilèges en 2007. Il a déjà travaillé aux côtés de Jeanne Balibar en jouant dans Toutes ces belles promesses de Jean-Paul Civeyrac et aux côtés de Sylvie Testud dans La France de Serge Bozon.
D'origine russe, Pierre Léon a découvert Les Démons de Dostoievski à l'âge de 13 ans: frappé par ses digressions, ses monologues et ses discussions qui en reculant les événements provoquaient une forte tension dans chacune de ses oeuvres, il a voulu reproduire ce sentiment au cinéma en adaptant tout d'abord librement L'adolescent puis plus littéralement L'idiot: "C'est au cinéma qu'on peut essayer des choses de ce genre", confie-t-il. "Dostoievski est tout indiqué, c'est l'un des meilleurs scénaristes qu'on ait eus. Alors ça m'a paru naturel".
Adapté de L'idiot de Fedor Mikhaïlovitch Dostoievski, le film est centré uniquement sur l'épisode clôturant la première partie du roman autour de la réunion hétéroclite des quatre prétendants de Nastassia Philippovna, lors de son anniversaire: "J'ai pensé que cet épisode, tendu et direct, était comme un commentaire d'aujourd'hui du roman de Dostoievski", explique Pierre Léon. D'où son choix de ne pas reconstituer la Russie du XIXe siècle mais plutôt de situer l'histoire dans un "hors-temps européen." Sans ellipse et tourné en plan-séquence, le film est, selon son réalisateur, semblable "à une guerre civile (...) sans effusion de sang(...) dont personne ne peut sortir indemne."
Parmi les raisons qui ont poussé Pierre Léon à adapter ce morceau choisi du roman de Dostoievski, figure l'aspect économique: "Je n'avais évidemment pas les moyens de produire un film d'une quinzaine d'heures, confie-t-il, et ceux qui en avaient les moyens n'en ont pas eu le courage et c'est alors que j'ai décidé de chercher, à l'intérieur du roman, un épisode qui serait à la fois le plus " facile " à tourner et le plus parlant quant aux enjeux dramatiques de l'ensemble, ajoute-t-il, tout en restant catégorique sur la nécessité de ne pas condenser un roman "dont la puissance réside précisément dans l'accumulation progressive d'épisodes contrastés".
Si le cinéaste avoue avoir choisi la haute définition pour des questions techniques de qualité, le désir de noir et blanc s'est de prime abord imposé par goût: "Je n'en ai perçu les possibles prolongements dramatiques que plus tard, au moment du montage (...) ça crée une sorte de distance, une théâtralisation de l'espace", remarque t-il aujourd'hui. Désireux de s'éloigner du roman à la façon de Dreyer, il confie avoir veillé, avec Thomas Favel son chef-opérateur, "à ce que la lumière, plutôt douce, peu contrastée, vienne contrebalancer l'expressivité des sentiments et la brutalité des dialogues".
Pierre Léon refuse de parler de direction d'acteurs, estimant que chaque comédien demande une attention particulière relevant davantage d'une orchestration des timbres de voix et d'une composition à trouver afin de permettre la constitution d'une troupe: "La direction d'acteurs, en tant que méthode générale ça n'existe pas, c'est une invention de critiques qui n'ont jamais dirigé personne ou un leurre dont se servent les réalisateurs pour impressionner les journalistes, affirme-t-il.
Pierre Léon envisage de réaliser les autres chapitres de L'Idiot dès qu'il trouvera un producteur désireux de s'en charger: "Comme je constate que la plupart des producteurs de cinéma font aujourd'hui des films de télévision, je me dis qu'il doit y avoir à la télévision des gens qui produisent des films de cinéma, non ?", plaisante-t-il. C'est parce qu'il voulait commencer ce quatrième épisode de façon autonome qu'il a pris soin d'écrire un monologue d'ouverture prononcé par le personnage joué par Sylvie Testud afin de "décharger le spectateur de l'obligation de comprendre toutes les ficelles de l'histoire", précise t-il, tout en espérant que ce premier film fonctionne comme "une espèce d'ambassadeur venu présenter ses lettres de créance au public".