A l'instar du cinéma des Balkans avec la dictature stalinienne, le cinéma sud-américain trouve un sujet d'inspiration constant dans les décennies de plombs imposées par les juntes militaires sur toute l'Amérique Latine. Après le Brésil et "L'Année où mes parents sont partis en vacances", l'Argentine et "Agnus Dei", voici maintenant un film venu du pays du sinistre général Pinochet. Le point commun entre ces trois films se trouve dans la façon d'aborder cette histoire récente et douloureuse : pas de grande démonstration, pas de personnages centraux de la vie politique de ces pays, mais plutôt la narration des effets de la répression et de l'oppression sur le quotidien de gens ordinaires.
La comparaison entre "Tony Manero" et les deux films cités s'arrête pourtant là. Autant Cao Hamburger et Lucia Cedron avaient choisi des personnages qui permettent l'identification des spectateurs, notamment le petit Mauro et Guillermina qui évoque elle aussi son enfance, autant Pablo Larrain nous présente un monstre, sans doute pour signifier qu'une époque monstrueuse ne peut produire autre chose.
Car Raul n'a rien pour attirer la sympathie, avec sa tête de Al Pacino hébété (drôle de choix pour jouer un sosie de Travolta), son absence totale de sens moral et son comportement quasi-animal, que ce soit la fuite dans le monde extérieur ou la loi du mâle dominant dans les rapports intérieurs. Au contraire, il suscite la répulsion, par l'arbitraire de sa violence (avec une prédilection pour les plus faibles) et l'infantilisme scatologique de ses pulsions.
En effet, on est bien loin de "Podium", de Bernbard Frédéric et de Couscous, et quand enfin Raul enfile son habit de lumière, le ridicule de ses contorsions et de l'émission berlusconesque qui lui sert d'écrin ne nous arrache pas même un sourire, tant ce pitoyable dissimule à peine le comportement de psychopathe du quinquagénaire disco que nous avons dû subir durant une heure et demi, et dont Pablo Larrain a eu le bon goût de nous épargner la suite, suggérée par une fin à la "Un bourgeois tout petit, petit" (le chef d'oeuvre grinçant de Monicelli, sorti précisément à cette époque).
Certes, le cinéma ne s'est pas attaché qu'à des rosières et des prix de vertu, et les destins d'individus déséquilibrés et refoulés tels que Travis Bickle et Popaul Thomas remplissent les dévédéthèques des cinéphiles. Mais ici, les gesticulations erratiques de l'ersatz meurtrier de la star disco ne réussissent pas à capter l'intérêt, la faute à une mise en scène exaspérante, compil des petits trucs et des grosses ficelles du cinéma d'auteur de Godart à "Charly" : caméra portée perpétuellement instable, mise au point approximative quand ce n'est pas flou assumé, faux raccords style "regardez comment je me suis bien affranchi des règles canoniques", surexposition constante.
A partir d'une idée alléchante, Pablo Larrain n'a tenu aucune des promesses attendues, que ce soit au niveau de l'histoire, de la caractérisation des personnages ou de la mise en scène. Résultat pour la première oeuvre chilienne de ces critiques, un film déplaisant et surtout terriblement ennuyeux.
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