Lorsque l’on cite un réalisateur au style visuel marqué, plusieurs noms peuvent venir en tête mais j’en retiens surtout un : Nicolas Winding Refn. J’ai découvert son travail il y a quelques années sur Drive qui a été un véritable coup de cœur, aussi bien contemplatif que pour son histoire. C’est l’histoire de « The Driver », un homme solitaire qui conduit le jour pour des cascades de films et la nuit pour des bandits. Professionnel et silencieux, sa vie bascule lorsqu’il rencontre Irène, dont le mari qui vient de sortir de prison va lui attirer des ennuis… C’est le film qui lance Nicolas Winding Refn (NWR) auprès du grand public, mais très vite le réalisateur sera relégué au second plan avec ses échecs critiques suivants : Only God Forgives en 2013 et The Neon Demon en 2016. Pourtant, Drive truste régulièrement les tops des meilleurs films récents. Que dire, c’est excellent et ça se comprend. Rien que cette scène d’introduction d’une dizaine de minutes est d’une maitrise absolue. Montre attachée au volant et cure dent dans la bouche, Ryan Gosling pilote hors pair est attentif. Sa mission consiste à escorter deux voleurs hors de portée de la police juste après un casse. Grâce à une photographie aboutie, un sens aigu du montage et une interprétation tout en charisme de l’acteur principal, le réalisateur parvient littéralement à créer un mythe dès le début de son film. De plus, comment parler de cette première séquence sans mentionner la bande originale de Kavinsky, sur des plans aériens de nuit de Los Angeles. Il inscrit dès le départ son récit dans un genre proche du film noir (qui s’inclue plus précisément dans le « néo noir »), un style généralement tragique et violent, se déroulant dans un environnement ténébreux. La nuit est une période privilégiée du réalisateur pour mettre en scène son histoire, particulièrement bien écrite. En effet, il n’y a aucun temps mort durant 90 minutes, qui se laissent visionner avec grand plaisir. Pourtant le rythme général est assez lent et NWR en profite pour laisser exprimer sa créativité visuelle. Une histoire ultra-stylisée, un esthétisme à tomber par terre, et ce sens du détail se ressent aussi dans la manière dont les plans sont ordonnés. Son style d’une noirceur grandiose sonde les différentes facettes de l’être humain. D’une violence parfois destructrice, le métrage prouve qu’il ne veut pas rentrer dans la zone de confort habituelle. C’est très graphique et incisif quand il le faut, le personnage principal est toujours rattrapé par ses démons. En effet, si « The Driver » est un homme simple en apparence, il se dégage en lui un être profond, terré derrière ce sourire charmeur. Il change drastiquement lorsqu’il rencontre Irène. Il tombe amoureux, et c’est réciproque, d’une femme douce, mère de famille qui attend avec appréhension le retour de son mari de prison. C’est Carrey Mulligan qui donne la réplique (ou pas vu le peu de dialogues !) à Ryan Gosling pour un couple à l’écran qui fonctionne très bien. On peut aisément dire que l’histoire ne serait pas la même sans eux, tant ils sont investis. Le très bon Oscar Isaac officie en tant que second rôle aux côtes de Ron Perlman et Bryan Cranston qui ne sont en revanche pas forcément marquants. Néanmoins, grâce à l’habileté des situations présentés, le film ne perd jamais en souffle. Un thriller poétique profond, réaliste, posé, et c’est tout ce qui fait son charme. NWR ne cesse d’expérimenter, de tester des effets, des ralentis, et autres surprises qui rendent le tout ingénieux. Si j’encense beaucoup ce film, c’est aussi parce qu’il fait du bien. Il apporte une fraicheur dans le cinéma, il y a un avant et un après Drive, et cela se remarque encore aujourd’hui. Le long métrage se laisse regarder de nombreuses fois, et les musiques de Cliff Martinez nous transportent dans ce Los Angeles sombre et surréaliste. Une proposition d’auteur, on filme le sale et la violence avec style, avec un propos, une idée conductrice, celle d’un homme dépassé par les évènements et surtout par ses propres actes. Ryan Gosling, personnage unique parvient à retranscrire cette idée avec force dans le récit et excelle dans cet exercice, avec un jeu minimaliste et empreint de réalisme, non sans un charisme ravageur. Ce pilote saura marquer son temps, Nicolas Winding Refn réussi son pari. C’est une histoire qui tient la route avec une atmosphère particulière, les silences remplacent les mots et NWR prouve que le cinéma est avant tout un art de l’image. C’est à mon sens une aussi bonne conclusion que celle du film. La nuit noire envahit l’écran, le long-métrage se termine comme il a commencé. Les lettres roses néons indiquent le générique, et on se dit qu’on vient de voir un sacré morceau de cinéma.